Familles Bonin

 

Mes grands-parents

 

 

Je vous présente mes grands-parents

 

 

Jean-Baptiste Bonin et Anastasie Fafard

Jean-Baptiste, 9 août 1888, décédé le 15 juillet 1958

Anastasie, 18 juillet 1886, décédée le 19 juillet 1963

Mariage 17 janvier 1910 à St-Germain

LES ENFANTS

Simone, 6 décembre 1910, décédée le 2 septembre 2005

Alcide, 16 février 1912, décédé le 29 janvier 1991

Léo, ??? décédé très jeune

Marcel, 7 février 1915, décédé le 20 juillet 1996

Rose-Alma, ??? décédée très jeune

Bruno, ??? décédé très jeune

Bernard, 11 septembre 1919, décédé le 28 mars 2004

Jean-Paul, 3 septembre 1922, décédé le18 avril 1997

Hermann, 31 juillet 1924, décédé le 4 avril 2018

Robert, 5 février 1926

Jeanne, 29 octobre 1927, décédée le 31 janvier 2000

Cécile, 12 mars 1929, décédée le 7 octobre 2015

André, 20 octobre 1931, décédé le 3 janvier 2011

 

Avant Propos

Étant l’aîné des petits enfants de la grande famille Jean-Baptiste Bonin, j’ai eu le privilège de connaître un site enchanteur qui était la demeure de mes grands-parents le long de la Rivière St-François, à St-Majorique.

En arrivant chez mes grands-parents, c’était comme s’il y avait une porte d’entrée dans un monde totalement différent de ce que nous vivions dans notre quotidien. En effet, c ‘était pas mal déroutant et intriguant à la fois de constater qu’ils n’avaient ni électricité, ni de tracteur de ferme, etc.

Pour mieux comprendre, je crois que nous devons imaginer notre quotidien dans un environnement sans électricité. Que faire pour l’eau froide et chaude, la cuisinière, le chauffage, le grille pain, la toilette, la douche, le réfrigérateur, l’aspirateur etc., ainsi que pour les travaux de la ferme sans tracteur, etc.

L’image que j’ai de mes grands-parents est qu’ils avaient une très grande compétence pour répondre à leurs besoins et à ceux de leur grande famille par une débrouillardise digne de mention.

Je suis né en 1939 et mes grands-parents ont déménagé au Village de Saint-Majorique en 1952, j’ai donc de précieux souvenirs couvrant une période de 8 à 9 ans. Nos visites étaient limitées à quelques fois par année, car nous demeurions aux États-Unis.

Dans la première partie de mon exposé, je vous d’écrit mes souvenirs d’enfant de ce site enchanteur et en deuxième partie, un résumé du livre intitulé « L’Histoire Qui’a… », écrit par Alcide, mon père qui est le fils aïné (copie intégrale disponible sur le site http://www3.sympatico.ca/bonin.1/

Merci à tante Cécile et oncle Guy Lacharité pour leur précieux apport caractérisé par des détails précis qui ont permis d’enrichir ma narration; merci aussi à mon frère Jean-Louis et mon épouse Jeanne qui m’ont beaucoup aidé pour les corrections et mises en page.

PREMIÈRE PARTIE

Souvenirs d’enfant

par Gérard Bonin

Les visites chez mes Grands-Parents Bonin étaient toujours un grand événement. Ils étaient toujours tellement chaleureux et j’étais gâté par les oncles et mes tantes Jeanne et Cécile.

Imaginez une ferme, isolée de plusieurs milles, sans électricité avec vue sur la rivière ET la fin d’une île située au centre de cette rivière. Le courant de la rivière était fort à cause de rapides de notre côté de l’île, ce qui nous permettait d’entendre le bruit de la rivière, surtout la nuit.

Pour s’y rendre, nous avions le choix (venant de Drummondville), soit de prendre la route le long de la rivière, ou de passer par le village de St-Majorique. Dans les deux cas, c’était de la forêt vierge, bien avant d’arriver à ce site enchanteur.

En arrivant par la route, le long de la rivière, nous avions, à notre gauche, la maison de deux étages avec cuisine d’été, une grande galerie avec une vigne concombre qui poussait très vite, couvrant tout le devant de la galerie, et plusieurs pommiers, ainsi qu’un ruisseau qui passait derrière et les bâtiments de ferme du côté droit. Évidemment, ces routes, soit le long de la rivière ou de St-Majorique étaient de sable et gravier et en plusieurs endroits, du foin dans le centre entre les deux travées. En continuant sur la route, il y avait une grosse côte avec un petit pont dans le bas sur un ruisseau.

La maison consistait en deux sections. La première section avec des chambres à coucher dans le haut et la deuxième section était la cuisine d’été avec une pièce pour le séparateur de crème, rangement farine, sucre etc., et une remise dans le grenier pleine d’antiquité pour tricots, filage de laine, etc. En hiver, la première section de la maison était occupée comme cuisine etc. et en été, la deuxième section comme cuisine. C’était pratique car en été, la cuisine d’été était plus grande, plus confortable et avait une meilleure ventilation, afin d’évacuer la chaleur dégagée par le poêle à bois qui chauffait presque continuellement pour les besoins d’eau chaude, la cuisson, chauffer les fers pour le repassage du linge, etc.

Les bâtiments consistaient en une étable avec environ 8 emplacements de chaque côté de l’allée centrale, une grange avec une entrée centrale et remises à foin de chaque côté, une remise à voitures, un poulailler et un emplacement pour les outils de forge et de menuiserie.

L’éclairage, le soir, était avec un fanal au naphta. Le fanal avait deux poches à l’intérieur d’un globe de verre clair. Il fallait nettoyer le globe, mettre du naphta dans le réservoir, pomper afin de bâtir une pression d’air et ensuite l’allumer avec une allumette. C’était très efficace car cela donnait une lumière égale à une ampoule de 150 watts.

L’éclairage dans les chambres était fait par une lampe à l’huile (avec un globe de vitre claire), ouvert dans le haut et une petite mèche qui trempait dans le réservoir d’huile. Il y avait des modèles de table ainsi que des modèles accrochés aux murs.

L’éclairage dans l’étable était un fanal bien spécial placé sur les murs. Derrière le globe de vitre, il y avait un miroir afin de diffuser le plus de lumière possible. Cela devait être super dangereux pour le feu car en hiver, le besoin de lumière pour les trains du matin et du soir était important. J’ai l’impression qu’il en résultait que les travaux de traite devaient être effectués dans une demi -noirceur. Quel courage que de faire la traite, alimenter les bêtes en fourrage, en eau ainsi que de faire le nettoyage. Pas facile, ce bon vieux temps!

Bien que sans électricité, un radio avec une grosse batterie leur procurait l’accès aux nouvelles ainsi que certains romans-savons. Je trouvais que le son était très difficile à comprendre car il y avait un niveau de bruit terrible. Lorsqu’on voulait entendre de la belle musique, il y avait le beau gramophone avec sa belle grosse flûte dans le haut. Il y avait plusieurs disques, des 78 un peu égratignés et on n’avait qu’à tourner une manivelle pendant une minute ce qui donnait suffisamment de puissance pour actionner la musique pendant la durée de deux ou trois disques. Les disques étaient égratignés surtout du fait qu’il fallait placer une aiguille qui était au bout d’un bras sur le disque. Cette aiguille avait la dimension d’un clou à finir, alors, il était assez difficile, surtout pour moi de le placer à l’endroit approprié.

Grand-père fumait la pipe. Pendant la semaine, il utilisait une vieille pipe de plâtre qui était très courte car elle était cassée. Il l’appelait son « mognon ». Grand-mère le disputait lorsqu’il tentait de l’utiliser lorsqu’il y avait de la visite ou les dimanches.

Il faisait des allumettes pour allumer le poêle, sa pipe, le fanal etc. Il prenait une bûche de cèdre d’environ 30 cm (10 pouces) de long et lorsqu’elle était assez sèche, il la fendait en petites languettes d’environ 5 mm par 5mm (1/4 x ¼ de pouce). C’était pratique pour allumer le poêle car elle prenait feu facilement d’une allumette de soufre et sa longueur permettait d’allumer le poêle en gardant une bonne distance des doigts. Ensuite, lorsque le poêle était allumé, il mettait le feu à une des allumettes, via une petite ouverture sur le côté du poêle, afin d’allumer sa pipe ou le fanal etc., ce qui ménageait les allumettes de soufre.

Il m’est arrivé une fois de trouver Grand-père cruel. Il gardait quelques porcs. Lorsque les petits avaient quelques semaines, il devait opérer les mâles. Il leur enlevait les testicules afin de leur permettre de mieux engraisser. Ce travail se faisait en gardant le petit porc couché par terre, une incision était faite et les testicules enlevés. Un désinfectant était appliqué et le petit était libéré. Évidemment, le petit porc criait très fort, alors, j’étais très impressionné.

Grand-mère avait un gros poêle à bois avec une réserve d’eau dans le côté pour les besoins d’eau chaude. Elle puisait l’eau avec une grosse tasse équipée d’un long manche.

Ce poêle servait aussi pour chauffer les fers à repasser le linge. Elle devait chauffer le poêle, placer environ 5 fers à repasser sur le dessus du poêle et les prendre un à un lorsque assez chaud avec une poignée à ressort. Lorsqu’un fer n’était plus assez chaud, elle le plaçait sur le poêle, déclenchait le ressort pour le libérer et placer cette poignée sur un autre fer.

Le matin, en été, Grand-mère se levait tôt et entre autres, tuait les mouches qui étaient dans la cuisine d’été, chauffait l’eau pour le thé et nous préparait soit des crêpes ou des rôties. Les crêpes étaient rehaussées par un morceau de lard (environ 3 cm carré s par 5 cm d’épais ) qu’elle plaçait dans le centre de sa poêle chaude et y versait sa pâte à crêpe. On mangeait la crêpe en prenant un petit morceau de gras avec du sirop ou de la cassonade. C’était très bon.

Elle faisait son savon. Une recette que je trouvais magique car elle devait bouillir les ingrédients dans un gros chaudron de fonte, placé à l’extérieur de la maison. Lorsque la cuisson était terminée, elle prenait ce qui flottait sur le dessus du liquide, le plaçait dans une boîte d’environ 4 cm de haut et devait le couper en pains de savon avant que le tout soit refroidi.

Grand-mère m’avait fait visiter ses trésors dans le grenier, au-dessus de la cuisine d’été, C’était des souvenirs de sa

mère. Il y avait des outils pour travailler la laine, le coton, le lin etc., afin de pouvoir en faire du fil. C’était impressionnant, cependant je ne me souviens pas des noms bien que j’ai reconnu quelques uns de ces outils, lors d’expositions ou lors de visites au Village d’Antan à Drummondville.

Elle faisait son bon pain de ménage. Elle avait une recette à base de patates et en faisait plusieurs afin de combler les besoins de la semaine. La cuisson (pains, gâteaux etc) se faisait au fourneau, même pendant les chaleurs d’été. Comme il y avait une fenêtre du côté arrière (avec pentures dans le haut de la fenêtre) cela causait généralement un bon courant d’air, ce qui aidait grandement à la ventilation.

Une des belles expériences que j’ai vécue fut le jour où elle a fait de la crème glacée. Oui, en campagne, pas d’électricité; il faut en avoir des trucs. Elle avait un récipient qui était double avec un espace de quelques pouces entre les deux récipients. La partie intérieure était activée par une manivelle que l’on devait tourner et l’espace entre les deux était recouvert de glace. J’allais de surprise en surprise, car une fois que le brassage était commencé avec de la crème et une boîte de poudre, elle plaçait du sel sur la glace. Elle m’expliquait que pour faire de la crème glacée il fallait beaucoup de froid pour faire prendre le produit. Le sel fait fondre la glace beaucoup plus vite ce qui fait baiser la température, donc beaucoup plus froid. (Ce fut ma première leçon sur les lois de la physique). L’expérience était tout simplement unique pour moi et ma grand-mère me permit de tourner la manivelle afin de faire ce miracle. Elle s’était absentée pour quelques minutes, me recommandant bien de tourner lentement. Évidemment, je voulais l’impressionner et la manivelle en fit des tours en peu de temps avec le résultat qu’à son retour, elle s’écria : « Gérard, tu as tourné beaucoup trop vite, c’est rendu en beurre ». Et bien, comme expérience, j’en avais de toutes les couleurs. Après avoir sorti le beurre du récipient, elle a du tout recommencer, évidemment sans mon aide.

Le lavage du linge se faisait dans une cuve de bois qui devait être actionnée manuellement pour qu’elle tourne de gauche à droite afin de brasser le linge. Ce système fut remplacé par une machine pour laver le linge avec moteur à gaz. La laveuse était un modèle avec un brasseur à l’intérieur et un tordeur dans le haut de la machine. C’était deux rouleaux par lesquels on pouvait contrôler le degré de pression et dans lesquels on passait le linge afin de l’essorer. L’eau essorée retombait tout simplement dans la laveuse. Comme la laveuse était dans la maison et qu’elle était actionnée par un moteur à gaz, un tuyau flexible était placé du moteur à l’extérieur par un trou qui avait été fait à cet effet.

Elle faisait aussi beaucoup de « cannage ». Elle avait un appareil pour recycler les boîtes de métal utilisées et l’achat de couvercles lui permettait de les ré-utiliser. Ces conserves étaient gardées dans le sous-sol de la maison principale qui était accessible par une trappe dans le plancher. (C’était une petite excavation de 4 pieds de profondeur afin de garder les « cannages » au frais). Sa soupe aux légumes était sans pareil. Que de fois j’ai demandé à ma mère de nous faire de la soupe comme Grand-Maman. Ce n’est que beaucoup plus tard, lors d’un cours de chimie, que j’ai appris que le recyclage des boîtes de métal avait comme désavantage que le fini intérieur devenait oxydé par des produits acides comme les tomates, avec le résultat qu’il s’y développait un certain acide pas nécessairement recommandé maintenant par Santé Canada.

Pour conserver certains aliments au froid, il y avait une glacière (de la dimension d’un petit réfrigérateur). Il y avait un couvercle dans le haut pour y placer un gros bloc de glace et une porte devant, avec tablettes pour y placer la nourriture. Pour satisfaire les besoins de glace, les oncles coupaient de gros morceaux de glace de la rivière en hiver et les enterrait dans du brin de scie dans la remise à voitures. Lorsqu’ils avaient besoin de glace pour la glacière, un morceau était coupé et placé dans la glacière.

Ma préférence pour le coucher était un super matelas de plumes placé sur un matelas conventionnel dans une des deux chambres au deuxième étage. Le sommeil venait très vite car bercé par le bruit des rapides de la rivière, le confort du lit de plumes et une noirceur totale, c’était propice à de beaux rêves.

Il y avait une toilette (une bécosse) à l’extérieur de la maison. C’était une petite cabane de 1.5 mètre par 2 mètres. Il y avait un siège de toilette. Cependant comme il n’y avait pas de chasse d’eau, le réservoir en dessous devait être vidé quelques fois par année. Évidemment, la senteur nous encourageait à ne pas rester plus longtemps qu’il ne fallait. Comme papier de toilette, c’était des morceaux du journal l’Action Catholique (Un journal de Québec, de la dimension du journal La Presse, cependant en moins de pages).

J’ai aussi eu le plaisir de faire les foins avec l’oncle André. Tous les travaux étaient effectués avec les chevaux. La coupe du foin se faisait avec une faucheuse, qui avait un bras d’environ 6 pieds de long traînant près du sol, avec une série de couteaux en triangles, qui par une action de va en vient, coupait le foin. Lorsque le foin était séché, un râteau avec de gros cercles de fer à l’arrière ramassait le foin en ondins. Le râteau arrière était levé à intervalles régulièrs pour libérer le foin en rangées (ondins) afin de faciliter la ramasse. Pour ramasser le foin, un chargeur à foin était placé derrière une voiture à foin. Le chargeur était tiré sur les rangées de foin qui était ramassé par un rouleau avec dents et monté environ 8 pieds de haut afin de tomber dans la voiture à foin. Il était bien important de bien tasser le foin car il n’y avait pas de côtés à la voiture. Une fois rendue à la grange, la voiture était rentrée dans la grange et vidée a l’aide d’une grande fourche qui était plantée dans le chargement et de grosses quantités de foin étaient déchargées par un système de poulies. Évidemment, c’est encore un cheval qui était utilisé pour le travail avec la grande fourche.

Les poules étaient libres sur la ferme. Les œufs avaient un jaune de couleur beaucoup plus foncée et évidemment les œufs bruns nous semblaient meilleurs.

La poste était livrée par un vieux monsieur postillon avec une voiture (appelée express) tirée par un cheval. Ce vaillant postillon allait chercher la « malle » à la gare du CN à Drummondville et effectuait la livraison 7 jours par semaine.

Je crois que lorsqu’il a pris sa retraite, il fut remplacé par un postillon avec une automobile. Oncle Hermann me dit que l’adresse postale était, Jean-Baptiste Bonin, RR4, Drummondville.

Grand-père avait environ 10 vaches laitières et deux chevaux. La traite se faisait à la main. Oncle André s’assoyait sur un petit banc de bois (environ 30 cm de haut) et trayait en plaçant une chaudière sous le pis de la vache. Une traite donnait environ la moitié de la chaudière en lait et le contenu était vidé dans un bidon. Il y avait une tasse de granit pour boire de l’eau dans l’étable. Oncle André m’a fait faire la découverte de lait chaud en trayant du lait directement dans cette tasse. Il y avait une broue sur le dessus et ce lait avait un goût divin.

Après la traite, les bidons étaient emportés dans la rallonge de la cuisine d’été afin d’écrémer le lait. On vidait le lait dans un gros bol de métal dans le haut de l’appareil et on devait tourner une manivelle pour lui permettre d’atteindre une certaine vitesse. Lorsque cette vitesse était atteinte, on entendait une petite musique qui nous indiquait que nous pouvions ouvrir la petite valve, afin de permettre au lait qui était dans le grand réservoir au-dessus de passer dans plusieurs petits cônes qui tournaient à une grande vitesse. On devait continuer de tourner cette manivelle afin de maintenir cette vitesse, car c’est ce qui permettait au lait écrémé de sortir d’un côté et la crème de l’autre.

Lorsque le travail était fini, André plaçait cette nouvelle crème dans un bidon gardé dans le fond du puits qui était à l’extérieur devant la cuisine d’été. Ensuite, on devait défaire une partie du séparateur afin de laver plusieurs pièces, cônes etc. à l’eau très chaude et replacer le tout afin que tout soit prêt pour la prochaine traite. Il y avait deux traites par jour, 7 jours par semaine.

A toutes les semaines, il fallait emporter les bidons de crème à Drummondville car il n’y avait pas de service de transport. Alors, il fallait atteler le cheval, mettre les bidons dans l’express et se rendre à la Crèmerie Drummond qui était située dans le secteur du Centre Ville. Le proposé vidait les bidons un à un et les nettoyait avec une eau tellement chaude que j’en avais peur. Ce voyage était très long et je crois avoir accompagner oncle André une fois seulement.

Pour satisfaire les besoins d’eau pour les animaux dans l’étable, il y avait un bassin en ciment, d’environ 1 mètre x 50 cm et d’une hauteur de 1 mètre. Une pompe à bras était installée à une extrémité et il fallait charger la pompe et pomper l’eau en actionnant un grand manche. Cette pompe avait quand même un bon débit d’eau ,car le réservoir se remplissait assez vite.

Nous avions un endroit super pour la baignade. Comme le lit de la rivière était de roches, c’était bien difficile de s’y baigner sans danger. Il y avait cependant une grosse roche, sur le bord de la rivière (faisant face à la maison) qui nous offrait un endroit avec fond de sable qui était sécuritaire et tellement plaisant. Cette roche existe toujours et bien qu’elle soit maintenant envahie par la végétation, elle régnait en maître pendant ces bonnes années. (Qui parmi les plus vieux ne se souvient pas de cette belle grosse roche!).

Il y avait en amont de la rivière deux barrages électriques. Ces barrages devaient contrôler leur réservoirs d’eau, alors, pour baisser le niveau, ils ouvraient les pelles de retenue et on voyait le niveau de la rivière monter de quelques pieds. L’inverse arrivait aussi lorsqu’ils voulaient refaire le plein des réservoirs. Cependant, comme il y avait retenue d’eau, la section de la rivière qui était de ce côté de l’île devenait à sec. Comme le lit était de roches, on pouvait s’y promener en faisant très attention, car certaines roches étaient coupantes; on vérifiait s’il y avait des poissons captifs dans les petits réservoirs qui s’étaient formés ici et là. Il fallait cependant faire bien attention, car c’était une condition bien temporaire et le débit d’eau pouvait revenir à la normale très vite.

J’ai vécu une expérience de pêche exceptionnelle. Un soir, oncle André m’invite à l’accompagner pour aller à la pêche au dard avec un autre de mes oncles qui était en visite. Il prit le fanal au naphta, plaça un abat-jour sur le dessus, ce qui réflétait la lumière vers le bas seulement. Il faisait noir. Cependant, comme je le suivais de très près pour se rendre à la chaloupe sur la rivière, ce ne fut pas un problème, car le fanal donnait beaucoup d’éclairage. Une fois rendus dans la chaloupe, il me demande de me placer au centre et ils prirent place aux deux extrémités. Quel spectacle, un oncle à l’arrière qui fait avancer la chaloupe avec une rame car il n’y avait pas beaucoup de profondeur (on voyait le fond facilement) et l’autre oncle, sur le devant de la chaloupe, avec le fanal d’une main et une fourche à trois pics de l’autre; ça donnait l’image du diable qui se prépare à aller se chercher une victime……Les prises furent nombreuses, mais seulement de la carpe ce soir-la. Comme il y a beaucoup d’arêtes dans cette sorte de poisson, ce sont les porcs qui en ont fait un festin le lendemain.

Lors d’une de nos visites, les oncles étaient à battre l’avoine. Quel spectacle ! Deux chevaux étaient sur une plate-forme roulante, (la vitesse dépendant de l’inclinaison donnée), ce qui servait de moteur pour la batteuse. Il y avait une grande courroie de cuir, environ 20 cm de large sur des poulies de la plate-forme roulante et la batteuse. On devait alimenter la batteuse manuellement, enlever la paille et l’entreposer dans la grange. A la fin de la journée, tous étaient couverts d’une épaisse poussière, mais heureux du résultat, car c’était une bonne récolte.

Le transport se faisait avec des voitures tirées par un cheval. La semaine, une voiture moins luxueuse était utilisée; on l’appelait l’express. Elle avait une boîte rectangulaire avec deux sièges de bois à l’avant. C’était bien pratique, car l’arrière permettait beaucoup de chargement, comme une boîte d’un camion pick-up. Le dimanche, c’est une voiture de luxe tout en noir appelée Pianobox, de très belle apparence avec roues étroites et un siège avec un petit rangement à l’arrière. C’était une voiture pour les sorties « propres » du dimanche.

En hiver, c’était des « sleigh » pour les travaux et le voyagement. Il y avait la carriole pour les sorties avec les enfants, la sleigh fine, appelé Speedeur ou Catherine pour 2 personnes pour les grandes sorties du dimanche, la petite sleigh appelée Runner utilisée surtout pour faire les commissions. Les routes n’étant pas dégagées comme maintenant, la neige était surtout tapée sur place par le piétinement des chevaux et des glisses des traîneaux. Alors, les sleighs avaient la possibilité de faire glisser le train du cheval sur le côté ce qui permettait au cheval de marcher dans le sillon et facilitait le travail du cheval.

Lorsque nous allions au village, on stationnait voiture et cheval dans un endroit près du magasin général appelé « La Shed » ou « Abris »…….. Comme il fut un temps où beaucoup voyageaient avec les chevaux, les villages devaient offrir un endroit pour pouvoir abriter les chevaux à l’abri et leur donner à boire et à manger.

L’image que je garde du Grand-père Clément est celle d’une personne très âgée qui se limitait à la chaise berçante, avec son crachoir tout près. Je ne l’ai pas connu vraiment Cependant, G-P Jean-Baptiste m’a montré les outils pour travailler le bois qui avaient été fabriqués par Clément en majeure partie. Il y avait de gros ciseaux à bois avec manchon pour placer sous le bras, des rabots en bois de 1 mètre de long (utilisés pour faire des planches, etc). J’ai compris qu’il avait travaillé pour la construction du chemin de fer en fabriquant des réservoirs d’eau pour alimenter les besoins de engins à vapeur (anciens engins qui tiraient les wagons du chemin de fer).

DEUXIÈME PARTIE

Extrait du livre L’Histoire Qui’a, écrit par mon père, Alcide.

(Ce livre est disponible à l’adresse suivante http://www3.sympatico.ca/bonin.1/  faire clic sur [L'histoire qu'y a] dans le bas de la page.

1. Mon père

Mon père, Jean-Baptiste, le garçon aîné de Clément, est venu au monde à St-Germain de Grantham le 9 août 1889 à un mille du village sur le chemin de Yamaska, en face du théâtre des Ancêtres d'aujourd'hui; c'était où son oncle Alphonse avait sa terre à bois autrefois. Plus tard, Clément a changé sa terre pour une maison au village de St-Germain .

A 19 ans, Jean-Baptiste revint au Canada pour chercher Anastasie Fafard qu'il prit pour épouse. Deux ans plus tard, lors du décès de sa mère, il décida de revenir au Canada; déjà il avait deux beaux enfants qu'Anastasie lui avait donnés, Simone et Alcide.

Il travailla donc avec son père comme menuisier; les maisons, les granges et les chèdes à voitures s'élevaient au travail de leurs mains.

3. La vie familiale

Entre  1912 et 1923, mon père avait une  vache au village de St-Germain. Ma mère en  avait soin,  faisait  la  traite matin et  soir.  Elle  déposait  le  lait  dans  des  térines;   le  lendemain matin,  avec  une  cuillère, elle  ôtait la crème sur le lait.  Après avoir fait cela plusieurs jours, elle  brassait  la  crème  avec une fourchette et  faisait  son  beurre.  Dans  le fond  des  térines, ce  qui  restait, c'était du lait  écrémé  ou petit lait qu'on servait à boire  à  table.  Quand  on  avait un surplus de  petit  lait, ma mère le laissait cailler et  ensuite  les  adultes  le  mangeaient;  les  enfants  ne  se  laissaient pas facilement  convaincre.

Ma  mère  faisait  beaucoup  de couture  pour  la famille. Entre 1912 et 1923, elle  achetait  sa laine  cardée,  la  filait au  rouet,   faisait   ses  écheveaux  avec  le  dévidoir  qui  servait  aussi  à doubler la  laine. Elle  aimait  beaucoup tricoter; sans  regarder   son  ouvrage,  elle  ne  perdait  jamais ses mailles.

Elle  aimait beaucoup son jardin et ses  fleurs.  De plus, elle allait ramasser des  petites fraises des champs, des framboises  dans  le  bois,  des  mûres  dans le clos à  vache.  Avec  ces fruits, elle faisait ses  confitures pour recevoir la visite.

Avec  des  poches de sucre ou de farine  que  ma  mère  décousait,  elle faisait des  chemises d'ouvrage  pour  grand-père, pour  mon   père   et  les  sept  garçons;  c'est  elle-même  qui les teignait sur le poêle de  la  cuisine.  Ma  mère faisait  aussi des  toiles cirées qui servaient de manteaux, de  piqués   pour   les   lits   de  bébés,  de  couvertures quand on allait en voiture. Le procédé  de  cirage était le suivant: elle  prenait  du  coton à fromage, le peinturait  deux  fois avec de  l'huile  de lin et le  laissait sécher sur la corde à linge.

A  la  mort de ma grand-mère Bonin, mon  grand-père  se  donna  à mon père avec tous  ses biens et ses dettes et devint comme le  fils à  Jean-Baptiste; c'est drôle, mais le  monde vivait comme cela dans le passé. Mon  grand-père devenait   mon   frère  et  on  l'appelait pépère; plus il vieillissait, je  le  crois  car  je  suis  rendu à l'arrière grand-père  et je vous assure que l'on en a  vu et entendu des choses.

CHAPITRE 3

MA VIE A ST-MAJORIQUE

1. La première année à St-Majorique.

2. Notre vieille maison et la vie familiale.

3. Ma mère, la besogneuse.

4. Mon père, l'homme à tout faire.

5. Péripéties d'Alcide.

La première année à St-Majorique

Premier  voyage  sur  la  terre  près de la rivière à St-Majorique.

Jean-Baptiste  venait  d'acheter  cette terre  au mois d'avril 1923. Ce fut tout un  voyage. Nous   sommes  partis,

mon  grand-père  Clément, mon père Jean-Baptiste et moi-même  de  St-Germain  à  7 heures du matin. Nous transportions  un voyage d'engrais pour le  jardin  de  ma  mère Anastasie; nous avions  attelé le blond et la brune (la brune était  très  rétive)  et  nous  avions 11 milles à  faire  sur  des  chemins  à  moitié neige à moitié  terre;  je  me rappelle que c'était  froid, en bas de zéro degré Farenheit.

La brune arrêtait souvent et ne voulait  plus partir; on courait derrière le traîneau  pour  se  réchauffer. Clément disait

en  bougonnant: "Si ça continue, il va falloir  coucher  en  chemin."  Toujours  bien, à 7  heures du soir, nous sommes arrivés sur le  côteau  des  Bonin,  sans avoir bu ni mangé  car  mon  père pensait qu'on y serait rendu  dans l'avant-midi.

Mon  père dit: "Je vais vous faire des  galettes pour souper." Mais comme il avait  oublié  le sel et le soda, nous avons mangé  des galettes de carême.

Début sur la terre à St-Majorique

Après  avoir acheté quatre vaches et un  peu  de  machinerie, mon père Jean-Baptiste  décida d'aller travailler à Montréal.

Grand-père  Clément  me  dit:  "Tu  es  assez  savant,  reste  pour m'aider sur la  ferme;  moi je ne suis pas capable d'écrire  et  de  lire mais je peux travailler quand  même."

Comme mon cours scolaire était fini, je  partis  avec  le blond pour aller m'acheter  une petite charrue ST-OURS à St-Edmond. Le  lendemain  matin, je me suis mis à labourer  une  pièce  de  terre.  Le labour fini, je  l'ai hersé  et tout à coup j'ai vu arriver  grand-père  dans  le champ avec sa semence;  c'était  dans un grand sac ou poche en jute attachée au cou par une strape en cuir; il  y avait une ouverture pour prendre le grain d'avoine.  Il lançait le grain en l'air et  le  grain tombait  égal  sur  le  terrain, c'était beau à voir. J'ai enterré le grain avec  la  herse à finir. Grand-père a fait  les  rigoles et à la grâce de Dieu pour le  reste jusqu'au temps des récoltes.

En attendant la récolte des foins, on a  fait  toutes  sortes  de travaux. Avec une  digue  grand-père a creusé des billots pour  faire des auges pour les vaches et pour les  cochons car jusque-là, on les faisait boire  au  sceau et   long. Ces râteaux  avaient  trois  pieds de large, formés d'un grand bâton  au  centre, renforcé par deux  équerres pour le tenir droit; les dents des  râteaux  étaient faites de bois de frêne et  mesuraient six pouces de long tout en étant  distancées de trois pouces chacune.

Quand arriva le temps de couper le foin  et  le  grain,  grand-père  et moi sommes  partis  aux champs avec une petite faux sur  le   dos  et  on s'est mis  à  l'ouvrage.  Grand-père  coupait  jusqu'à  six  pieds de large. A toutes les demi-heures grand-père affilait les faux et ça continuait. On  ramarait  le  foin et le grain avec  des fourches et on faisait des vailloches.

Après   l'avoir   laissé   sécher,   on  l'engrangeait.  Quand  venait le temps du  battage, on étendait un pied d'épaisseur de  grain  sur  le plancher de la grange et on  battait  le  grain avec le fléau. Le fléau  était  fait de deux bâtons réunis au bout  par une charnière de cuir.

Le  grain  était  alors  séparé  de  la  paille  et  pour séparer le grain d'avec la  balle on se servait d'une vanne. Une  vanne, c'était une boîte de quatre  pieds  de  large,  de deux pieds et demi de  profond  et de huit pouces de haut en forme  de demi-lune.

En  donnant des coups de genoux sous le  fond  de  la vanne, la balle volait au vent  et  le grain restait dans la vanne; ensuite  on  empochait  le grain  et on le déposait  dans   des  carrés  qui  avaient  déjà  été préparés dans le hangar. Plus  tard  on  battait aussi les fèves  blanches  (beans) et on les triait au cours  de l'hiver.

Le boeuf du père René.

En 1923, quand mon père acheta la terre  à  St-Majorique,  il  y  avait deux maisons  séparées l'une de l'autre par un tambour ou  chemin couvert de quatre pieds de large par  vingt  pieds  de longueur. Il faisait noir  là-dedans  car  il n'y avait pas de châssis et  les  portes  étaient  pleines. C'était  épeurant de voyager d'une maison à l'autre.  De  plus,  une des maisons était bâtie cinq  pieds plus bas que l'autre faisant un angle  de 12 degrés environ.

Après  consultation  avec  mon père, ma  mère  et  mon  grand-père, il fut décidé de  lever   et  d'approcher  les deux  maisons  ensemble. Mon  grand-père,  mon père et moi-même,  avons  défait  le  tambour, avons levé la  maison   qu'on  appelait  le  bas-côté  et  l'avons installée sur des rouleaux.

Un  jour, le boeuf du père René voulait  voir ce qui se passait; mais mon père, avec  l'aide de Filou, lui fit rebrousser chemin. Plus  tard  dans  la  soirée, alors que  tout  le  monde  était  couché, notre boeuf  revint  et cette fois-ci, il n'était pas de  bonne humeur.

Grand-père,   Marcel   et   moi  étions  couchés  dans  le  bas-côté;  mon père, ma  mère,  ma  grand-mère  et  tous les enfants  étaient couchés dans la grande maison. C'était une nuit chaude du mois d'août;  les  châssis  étaient  ouverts; des voiles  faisaient  office  de  moustiquaires. Il y  avait  seulement  une marche de huit pouces  pour  monter  sur le perron de quatre pieds  de large.

Le   boeuf  s'était  monté  les  pattes  d'avant  sur les bras du perron et avait la  tête  à  deux pieds seulement du châssis de  la  chambre  où étaient couchés mon père et  ma mère; il beuglait et soufflait tellement  fort que le voile volait au vent. Mon  père  dit à ma mère: "Ne grouille  pas."  Il  se  glissa  à terre et à quatre  pattes,  il sortit de la chambre, alla vers  la cuisine;  le boeuf  le  sentait  et le suivait;  nous étions tous morts de peur en  attente de voir si le boeuf allait défoncer  la porte  de  la  maison.  On appelait le  chien  Filou  qui  tout d'un coup sortit de  dessous  du  bas-côté  et encouragé par nos  cris de manger le boeuf, se mit à pincer le  boeuf aux argots. C'en fut fait pour nous;  le boeuf se dirigea vers la grange de Henri Héneault.

Le  père  René qui était à la recherche  de son boeuf ne fut pas content d'apprendre  que  son  boeuf était devenu enragé; il dut  se   décider   à l'abattre.  Chez  nous,  personne ne fut désolé de sa mort.

Chien Filou.

En  1923,  mon  père acheta un chien et  oublia  de  demander  au  vendeur le nom du  chien.  Alors, le soir, pendant la prière,  quand ma mère se mit à réciter les litanies  des  saints  et  que nous répondions "priez  pour nous", voilà  que  le chien se mit à  courir  dans  la  maison  avec  la queue en l'air. Quelle distraction!

Après la prière, il y eut conférence et  on baptisa le chien Filou. Il  n'était  pas bon pour la garde mais  avait   la  qualité  d'être  bon pour  les  animaux et aimait beaucoup à jouer.

On  jouait  à  la cachette avec lui; un  soir, l'oncle Elzéar, prêtre curé, et frère  de  Jean-Baptiste,  après avoir renfermé le  chien  dans l'étable, s'assit dans la cour  sur une chaise après avoir laissé tomber sa soutane tout autour de la chaise.

On   ouvrit   la   porte  de  l'étable;  aussitôt  sorti,  le chien se mit à tourner  autour  de l'oncle Elzéar, se mit le museau sous   la  soutane  et c'en  fut  fait  du  ballon. On  jouait  souvent  à  la  balle  avec  Filou; on lançait la balle dans la rivière;  Filou  se  jetait à l'eau pour la saisir et la ramener.

A  cinq  heures, on ouvrait la barrière  de  l'allée;  on  lui disait: "Va chercher  les vaches". Aussitôt dit, aussitôt fait.

Un jour, il revint à la grange avec une  couleuvre   de  trois  pieds  de long;  il  l'avait  saisie  dans  sa gueule et l'avait secouée   suffisamment pour  qu'elle  soit  tombée   dans   le   coma.  J'ai  pris  la  couleuvre, l'ai  déposée autour de mon cou  et  je  suis entré dans la maison au moment où  on  avait  beaucoup  de  visite.  J'ai  déposé  la couleuvre  sur  le plancher et  elle reprit connaissance; cela créa tout un  émoi;  les  enfants et  même  les  grandes  filles  montèrent sur la table et se mirent  à crier au secours.

Ma  mère  me  regarda et me dit: "T'es  mieux  d'y voir." J'appelai vite Filou; il  saisit la couleuvre,  la secoua vigoureusement  pour la rendre inerte et on  est  sorti  dehors avec. Malheureux Filou!  Il  était sensible du  coeur et se mit à  vomir.

2. Notre vieille maison et la vie familiale

En  1923, notre vieille maison avait un  bas-côté  qui servait de cuisine en été, de  "shop" à bois en hiver. Cette maison avait  de l'antiquité ainsi que le bas-côté. Nous  avions  réuni  les deux parties ensemble en  1923, mon grand-père et moi-même. Oui! Ce  fut  tout  un événement le mariage des deux maisons. Elles avaient la même superficie mais  étaient réunies  un peu en biais, le  bas-côté  étant  situé  à dix pieds plus en  profondeur.  Les deux étaient faites en  pièces  de gros  bois  avec  des poutres à  dix-huit pouces  du  plancher; ces poutres  servaient de tablettes de rangement.

La  maison  maîtresse avait une cuisine  au  rez-de-chaussée  qui  servait aussi de  salle à dîner et de salon.

Au  milieu,  il  y  avait la table de 8  pieds  de long par 40 pouces de large; elle  était couverte d'un tapis ciré. En arrière de la table, il y avait un banc de 8 pieds;  aux deux bouts et devant la table, on avait  des chaises empaillées par grand-père.

Il  y  avait  aussi  un beau poêle noir  avec   réchaud  et  batteur. Derrière  le  poêle,  il  y  avait une grande tôle trouée  pour  réchauffer les  deux chambres. Pour  en-haut,  la chaleur montait par le trou de l'escalier;  il  y  avait aussi  une  tôle  trouée  autour  du  tuyau pour donner de la  chaleur. Puis   juste   à   côté,   c'était   le  vaisselier  de  6  pieds  de haut. Sur ce  vaisselier,  il  y  avait le fer à repasser  qu'on faisait réchauffer sur le poêle; il y  avait  aussi  la lampe à l'huile qui allait  faire son tour sur la table tous les soirs.  Suivait   la   boîte à  bois  juste  avant  d'arriver  au  bas  de  l'escalier  où l'on  voyait aussi la planche à repasser.

De  l'autre  côté  du poêle, ça donnait  sur  la chambre de mes parents où prenaient  place  leur  lit, le bureau, la commode, la  vanité,   la   garde-robe,  le  berceau  du  dernier;  de  là on passait dans la chambre  de grand-mère.

Disons   en  passant  que  dans  chaque  pièce,  il  y  avait un crucifix, un rameau  béni  en  sapin, une bouteille d'eau bénite  fixée  au  cadrage  de la  porte, de sorte  qu'en entrant on se signait; pour que l'eau  reste toujours bénite, on remplissait les  bouteilles avec de l'eau de pluie avant que  l'eau  bénite ait été toute utilisée; l'eau  demeurait ainsi toujours bénite.

Grand-mère  Mathilde  avait  sa  chaise  berceuse  dans  l'entrée  de la porte de la  grande  chambre  avec  son tricot en mains.  Elle tricotait beaucoup de mitaines, de bas  et de sous-vêtements avec la laine du pays. Parlant  de grand-mère, comme elle avait du  trouble   avec   la  circulation du  sang,  c'était  mon  ouvrage  de  lui  frotter les  jambes tous  les soirs avec des linges en  toile  du  pays;  elle  m'avait  donné  son  rasoir-râteau dont elle se servait pour se  faire la barbe.

Mon héritage a été fait de ce rasoir et  des  prières  qu'elle  récitait à coeur de  jour  dans  la joie. Quel coeur elle avait  cette  grand-mère! Elle  était  faite  de  charité, d'espérance et de foi.

Au  mur  de  la cuisine, il y avait une  niche  où  trônait un beau Sacré-Coeur. Je  vois   aussi  dans  mon  esprit une belle  horloge  de cent ans auprès du Sacré-Coeur;  elle sonnait aux heures et aux demi-heures;  avec elle, papa et maman savaient à quelle  heure nous rentrions de veiller.

A   côté,  c'était  la  Sainte  Famille  encadrée;  n'oublions  pas  la belle croix  noire   au-dessus  de  la  porte  d'entrée. Finissons en parlant du miroir situé à côté  du  poêle,  miroir  soutenu  par un collier doré  auprès duquel il y avait les fameuses  allumettes  de  cèdre de 18 pouces de long.  On  prenait  le  feu à la targette du poêle  pour  allumer la  lampe à  l'huile et les  pipes.  En  effet,  ça  fumait;  à part la visite,   tous  les  hommes  de  la  maison  fumaient    la    pipe; elle absorbait  malheureusement  plus  de boucane; c'était  nécessaire à une mère de famille.

C'est  par  l'escalier  à bascule qu'on  montait  au  deuxième  où  il y avait les  chambres  des enfants. Dans l'escalier, il  y  avait  des  barres de bois après le mur  avec   des   bons   crochets;  souvent  ces  crochets avaient  un  voyage  sur  le dos.  Quand  il  faisait  trop  froid le jour, on  fermait  la trappe d'escalier faite avec un  cadrage  de pin et recouverte avec du linge  ciré;  quand  il  faisait  trop  chaud,  on  ouvrait la trappe.

Dans  la  grande pièce, il y avait deux  châssis  français,  un derrière la table et  l'autre  sur  le  mur  adverse au-dessus de  l'évier.  Sur le mur opposé au poêle, il y  avait le portrait du Pape Pie X; suivait la  porte pour aller dans le bas-côté. A côté  de  cette  porte,  il y avait un rouleau en  bois  auquel était enroulée la serviette de  6  pieds faite en toile du pays qui servait  à se sécher les mains.

Trônait  ensuite  un  joli  secrétaire;  c'était un meuble dont la porte suspendue à  des  chaînes  servait de table pour écrire;  la  porte  étant ouverte,  on voyait trois  tablettes  de  paperasse,  papier à écrire, encrier,  crayons, enveloppes, livres  de  commandes,  livre  de  chèques, etc. etc...  Sur  la  tablette du haut, c'était la place  pour  les pipes  et le pot  à tabac  de  grand-père;  la  tablette du bas servait de bibliothèque.

Au  mur  qui donnait sur le derrière de  la  maison,  se  trouvait  un évier équipé  d'une  pompe  à  la  main avec chaudière au  bec. Le renvoi d'eau, c'était une boîte de  bois  qui  déversait  son  contenu  dans le fossé derrière  la maison. Sur une petite  tablette  près  de  l'évier,  reposaient le  verre  à  eau  et le savonnier avec son gros  

bloc  de  savon pur qu'on appelait savon du  pays.

Quand  quelqu'un entrait ou sortait par  la  porte  de  derrière  entre l'évier  et  l'escalier, grand-père se levait en faisant attention   pour  ne pas  renverser  son  crachoir et il avançait sa chaise.

La  première marche de l'escalier était  une  fausse  marche;  elle avait un trou et  une  trappe;  on  l'appelait  la trappe au chat;  pour sortir, le chat poussait sur la  trappe   avec   sa   patte;  j'aurais  aimé  connaître le patenteur de cette trappe; je  lui  aurais  soulevé  mon  chapeau  en  son honneur.

Quand  ma  mère  entrait  son  moulin à  laver, son panier de linge sale, sa cuvette  qu'elle   déposait   sur  une chaise  sans   dossier,  elle voyageait du poêle à l'évier  pour  avoir  de l'eau tout en s'occupant de préparer  les  repas; souvent  il  y avait  quelqu'un  pour la déranger, à savoir Filou  et notre chatte d'Espagne.

J'oubliais  la  descente  de  la  cave;  c'était  une  trappe  au plancher ayant un  anneau encastré dans un cercle du plancher;  on  s'en  servait  pour ouvrir  la trappe.  Grand-père  était  le  gardien de la trappe  afin que personne ne tombe dans la cave; la  trappe  était située juste devant sa chaise  berceuse.  La  cave  avait quatre pieds de  profond avec   des tablettes  pour  les  cannages  de ma mère, le sirop d'érable, la  grosse boîte  de tabac et le grand carré à  patates;  on y trouvait aussi assez souvent  de  petites  bouteilles  de  vin; on était  obligé d'y circuler à quatre pattes.

Le  haut  de  la  grande  maison  était  divisé  en  deux parties. Dans la première  chambre  à  côté  de l'escalier, il y avait  une  couchette  de 8 pieds de long et de 4  pieds de large avec des côtés solides de 18  pouces de haut et des barreaux carrés; dans  cette  couchette, trois garçons couchaient, deux   à   la  tête  et  l'autre  au  pied.  Ecartant une division de linge, on arrivait  au  lit  des  filles; elles y étaient trois  aussi; elles avaient un bureau, une commode  et une garde-robe en carton.

A  la tête de l'escalier, à droite, une  porte  donnait sur la deuxième chambre avec  plafond  oblique  parallèle  à  la ligne du  toit;  sur toute la longueur du mur gauche,  il  y  avait  un  cabano  de trois pieds de  profond; plus  loin, sur l'autre mur, il y  avait  le  cabano  à débarras où il faisait noir   comme  sur  le  diable;  dans  cette  chambre,  il  y avait un  lit double dans  lequel  mes deux petits frères rêvaient aux  anges,  mais seulement quand ils dormaient;  mon lit à moi était là aussi.

Du  côté  nord de la chambre, une porte  donnait  sur  une  pièce  cachant une boîte  spéciale. En   ouvrant   ses  deux couverts,  on  trouvait  à l'intérieur une chaudière et un  bout de tuyau qui était relié au haut de la  cheminée en guise de ventilation. Tous les  jours,  grand-père  vidait  la chaudière et réclamait  que c'était son ouvrage à lui; à  côté de la toilette, dans une petite boîte,  il   y   avait  des  feuilles  de  l'Action  Catholique coupées en petits rectangles de  4  à  5 pouces; ce papier, un peu plus doux  que  le papier  sablé,  avait  une utilité irremplaçable.

Un  soir, mon père dit sans rire car il  riait   presque  tout  le  temps: "Demain  matin,  je ne vous réveillerai qu'une seule  fois."  A  vrai  dire, il  arrivait qu'on  aimait faire la paresse le matin. Tous les  matins,  mon père  venait  faire son petit  tour  derrière  la porte sur les toilettes;  la porte  le  cachait;  il lâchait un gros  "pet".  Moi je dormais aux aguets; mais un  matin,  réagissant  à son signal, je sautai  en  bas  du  lit, m'habillai  vitement  et descendis  en bas; en regardant l'heure, je  remontai donc me coucher et mon père riait  aux éclats derrière la porte.

Un  soir,  revenant  de veiller, Marcel  prenait  plaisir à faire prier Bernard. Se  souvenant  que  ma mère avait dit que trois  avés  avant de s'endormir nous conduisaient  direct  au  ciel,  il  frôlait  l'épaule de Bernard  en  disant:  "Les entrailles  est  béni."

Et Bernard de répondre le "Sainte Marie  Mère de Dieu"; et Marcel de recommencer son  petit   jeu.   Cela   nous donnait   des  distractions  de temps en temps. Je crois  que  le  Bon  Dieu  devait rire un peu avec  nous autres.

Comme  je  travaillais  assez  sur  la  ferme, le dimanche, après la veillée, je me  mettais  à genoux pour mes prières; souvent  je  dormais  à genoux appuyé sur mon lit le  restant  de  la nuit. Un soir, par un beau soir d'été, ayant  veillé  un  peu  trop  tard,  je  m'endormis  dans  la  grange; le  "blond" était en train de manger de l'herbe  tout près.

Une  fois,  mon  père avait traversé la  rivière pour aller à St-Joachim en chaloupe  car   il  ne  savait  pas  nager. Bernard  demanda  à ma mère où était parti son père.  Quand   il  entendit  dire  St-Joachim,  il pleurnicha: "Moi aussi, je veux y aller au  ciel".

Devant  le  perron de la grande maison,  ma  mère  semait  des  concombres rameurs;  aimant  les fleurs, elle se faisait un beau  rond  de fleurs mélangées devant la maison.  Je  ne  peux  oublier  la  petite bâtisse à l'autre  bout  du jardin ayant siège à deux  trous;  il  fallait  y penser d'avance pour  avoir son tour; cela arrivait souvent qu'il  fallait  se serrer les deux jambes surtout  durant les pluies du mois de novembre.

On  n'était pas gâté par l'électricité.  Quand  ma mère faisait son lavage en hiver,  elle  étendait  son  linge dans le bas-côté  pour   le faire geler;  ensuite  elle  le rentrait dans la maison pour faire sécher.

Et  si  on  passait  dans  le bas-côté.  Dans la première pièce, la principale, il y  avait  du côté sud un grand châssis de cinq  pieds  carrés avec pentures ouvrant par le  haut,  avec  un  voile  pour  empêcher  les mouches d'entrer. Du côté nord, il y avait  des  châssis  français  sous lesquels il y  avait  la  meule  à l'eau pour aiguiser les  faux,  un établi; en sortant sur le perron,  on  était  à  portée  du puits. En montant  dans le haut du bas-côté, il fallait faire  attention pour ne pas tomber tellement il y  avait   de  choses  sur  les  marches.  Le  grenier était rempli d'antiquités de toutes  sortes;   il   fallait mouver   plusieurs  articles afin   de   pouvoir traverser  l'appartement;  on  y  retrouvait deux lits avec paillasses qui servaient à grand-père,  Marcel  et  moi-même quand il y avait de la  visite; il  arrivait  même que  mon  père  couchait  sur la table sous nous quand les  lits  manquaient  surtout  pendant le temps  des Fêtes.

En  redescendant,  on pouvait se rendre  jusqu'à la cave qui servait de débarras.

Au premier, il y avait une autre pièce,  plus  petite,  on  y  accédait en montant  quelques  marches,  le  linge journalier y  était   accroché.   On y trouvait   le  séparateur pour ôter la crème dans le lait,  le  coffre d'outils  de grand-père, le 100  livres  de  farine de sarrasin, le corps de lard  salé,  le  panier  de linge sale, une  valise  de linge usagé, plusieurs tablettes  faisant  le  tour de la pièce pour recevoir  un  peu  de  tout;  la chaudière à saindoux  devait être  enjambée tellement il y avait  peu de place à circuler.

Un Jean-Baptiste enjoué

Quand  arrivait  le  temps  de faire le  train,  mon père disait devant les enfants:  "Viens  Alcide,  on va aller tuer le veau."  L'étable s'emplissait mais il n'y avait pas  de veau à tuer.

Une  fois,  les  enfants  décidèrent de  faire  un  pique-nique  près de la rivière;  une  de  mes  cousines  dit: "Je vais tout  préparer".  Mon père,  ayant  trouvé  une  bouse  de  vache sèche, l'enveloppa dans un  papier soie et l'envoya porter à la  rivière pour le pique-nique avec le message suivant:  "Dis  à  ta  cousine de l'ouvrir  seulement   pour  le dessert." Il  était  content de lui avoir joué un tour.

Une  fois,  en  visite  chez  Wilfrid à  Montréal,  en arrivant  au logement de Wilfrid,  il laissa ma mère sur le trottoir le   temps supposément de rentrer au  dépanneur   situé  au  premier  étage  pour  s'acheter  un cigare. Il monta au logement  par  l'intérieur et se rendit sur le perron pour  dire  à  ma  mère: "Qu'est-ce que tu  fais là sur le trottoir, monte en haut avec  moi."

Ma  mère  me  conta aussi  qu'une fois  pendant leur séjour aux Etats-Unis, c'était un  soir et il voulait l'embrasser; alors les  deux  couraient autour  de  la table.  Soudain  quelqu'un  frappa  à la porte; mon  père lâcha  alors  un  gros "pet" puant et  alla se cacher derrière une porte. Ma mère  dut aller répondre à la porte en se disant:  "Comme j'ai honte."

Un  de  mes  frères  étant à l'hôpital,  avait  été  opéré  pour l'estomac; comme il  était sur les soins intensifs, l'infirmière  ne voulait pas laisser entrer mon père dans  la chambre. Mon père lui dit: "Demandez à mon  garçon  sur quel "rollway" qu'il a mis  le  "cantouque"."  Elle répondit: "Je ne  comprends rien à cela. Allez lui demander,  mais faites vite."

En 1936, mon père et moi étions allés à  la ville pour faire des commisssions. J'ai  dit  à père: "Venez avec moi, je vais vous  payer la traite." Il me répondit: "OK, je  vais  y  aller  mais  remarque  bien, c'est  parce  que  tu es parti de la maison et que  je  n'ai  plus  à te donner l'exemple de la  bonne conduite."

Quand nous allions à la messe, on avait  des  places  réservées  dans la voiture; en  avant, pour mon père, ma mère et le bébé du  temps; en arrière, tous les autres enfants.

Mon père aimait beaucoup chatouiller ma  mère  sur  les  genoux;  il avait les yeux  pétillants  dans  ce temps-là. Ma mère lui  disait:  "Prends  gare à toi, les enfants  vont te voir faire."

Mon  père  aimait beaucoup les enfants;  il  ramassait  de  gros sous; autrefois les  sous  étaient  de la grosseur des cinquante  sous.  Il appelait les enfants au Jour de  l'An et frondait les sous dessous la table; il  était  content  de  voir les enfants à  quatre pattes ramasser les sous.

Mon  père  a  travaillé  un  peu  à  la  poudrière  de  Drummondville. Cette ville  comptait  3  à  4  mille  habitants dans ce  temps-là  et c'était intéressant à visiter.  Nous  étions  partis,  la  famille (père et  mère  et les 5 enfants) pour visiter cette  fameuse  poudrière; comme il faisait chaud, papa arrêta le blond devant un restaurant.

Il commanda de la crème à la glace pour  tout  le  monde;  nous les enfants, nous ne  connaissions  pas  cela;  faisant la bouche  fine,  nous avions  refusé de manger cela.  Alors papa et maman ont mangé nos portions. Papa  soupira: "Moi qui pensais leur faire  plaisir."  On  était,  comme  on le dit en  "canayen" des "niaiseux".

FETES ET LOISIRS

Un Noël traditionnel de 1924

A  Noël,  mon  frère Marcel et moi-même  avons  eu  le plaisir d'avoir été élus pour  faire des bergers avec une dizaine d'autres  garçons  de la paroisse. Dans ce temps-là,  le  prêtre  était  obligé  de chanter trois messes:  la première à minuit, la deuxième  (de  l'aurore)  et  la troisième (du jour).  Pour  nous  les  bergers,  c'était après la  messe de minuit que le bal commençait; nous  étions  cachés dans l'escalier et les anges  attendaient  dans  la  sacristie. Tout  à  coup,  les anges  se mirent  à  chanter: "Réveillez-vous."  Nous  les  bergers,  on  sortit de notre cachette en  chantant: "Réveillons-nous."  Nous marchions dans la grande   allée  en  route  vers  la  crêche  pendant  que  les anges entraient dans le choeur.  Assemblés  autour  de  la crêche,  avec  nos  habits de peaux et nos étoles de couleurs  vives  et  nos cannes, nous avons  échangé des cantiques avec les anges vêtus  de belles robes blanches et d'ailes dorées.

Un jour de l'An traditionnel

C'était  une  grande  fête  pour  les  parents  et  les  enfants. Le matin, en se  levant,   on  courait   pour recevoir la  bénédiction paternelle. Puis dans nos bas  suspendus  à  une  corde  au milieu  de la cuisine,   on  trouvait  une patate,  deux  candies  enveloppés   dans   du papier de  gazette. Les plus vieux y trouvaient aussi  un vêtement de linge.

Dans  le  courant  de  la  journée,  la  parenté  arrivait  pour  nous souhaiter une  bonne et heureuse année. La  mère sortait tout ce qu'elle avait  préparé  depuis  des  semaines; elle avait  assez de provisions pour nous bourrer tous  pour le dîner et le souper.

Quand  arrivait  la  veillée, la maison  était pleine à craquer. Les petits enfants  avaient  hâte  que  leur  tour  arrive pour déclamer  une récitation, d'autres étaient  renommés  comme  chanteurs;  pour  les plus vieux,  c'était  surtout le temps de goûter  au  p'tit  blanc,  récits, chants et p'tits  coups réveillaient les esprits et d'heureux  souvenirs se gravaient dans nos têtes.

Souvent le dimanche soir, après souper,  on   allait  chercher  dans  le cabano  le  tourne-disque  (on  disait  le graphophone)  avec  son grand entonnoir et ses "records";  c'était  un grand plaisir de le faire jouer  et ce soir-là on se couchait très tard.

Des   soirs,   on  jouait  aux  cartes,  d'autres  soirs, on chantait; souvent aussi  c'était  le soir des farces et c'est Marcel qui commençait le bal le plus souvent.

Le  samedi  soir,  la famille avait une  petite tradition. Papa attelait le "blond"  sur   la  voiture  à  deux  sièges. Maman faisait  passer les enfants dans la cuvette  qui servait de baignoire, elle leur mettait  leur jaquette  afin  qu'ils soient prêts à aller  à  la  couchette  au  retour. Puis  on  embarquait  tous  dans  l'express  pour  aller  faire un tour de voiture. En chemin  on faisait la prière du soir avec un peu de  distractions bien entendu.

Tous  les  dimanches, Jean-Baptiste sortait  sur  le  perron  de l'église pour avoir des  nouvelles   paroissiales   et assister  à  l'encan  qui  se faisait  pour les âmes du  purgatoire; il s'y vendait toutes sortes de choses: cochons de lait, volailles, veaux,  mitaines, bas de laine, etc, etc... Ensuite,  il  entrait  de  nouveau dans  l'église  pour faire le chemin de la croix.  Il revenait  dîner  à  la  maison  et vite  retournait  à l'église pour les vêpres qui  avaient  lieu  à  deux heures donnant ainsi l'exemple de sa foi à sa famille. Je   n'ai   jamais  entendu  blasphémer  grand-père,  grand-mère  ou père. C'était vraiment du bon monde.

Un  jour,  Jean-Baptiste  dit à Alcide:  "Ce  soir, c'est dimanche et je ne veux pas  te  voir  aller  à  l'étable  pour faire le  train.  Pour ta première blonde, tu vas te  faire  gâter." Puis il s'adressa à Marcel:  "Vas atteler le blond" qu'on appelait Pat,  prends  les grelots que tu poseras après le  travail du traîneau; tu sortiras la robe de  carriole neuve et tu amèneras la carriole à  Alcide devant la porte de la maison."

Un  autre  jour,  il dit à Alcide: "Tu  auras  l'air  d'un homme quand tu fumeras."  Il n'avait pas besoin de dire cela à Marcel  qui  déjà fumait en cachette, il prenait la  pipe  de  grand-père  Clément assez souvent  pour  se régaler;  à huit ans, grand-père  Clément  lui avait donné une pipe en plâtre et  Marcel  fumait en se rendant à l'école.  Une  fois à l'école, Marcel fumait pendant  la  récréation;  il  s'était  caché avec un  copain  dans  la chède; les filles, voyant  sortir  la boucane par  les  fentes de la  chède, sont  allées  avertir la maîtresse.  Marcel,  ayant senti la soupe chaude, avait  eu  le  temps de cacher  sa pipe dans ses  culottes  pouffantes (golf) avec sa blague  et  ses alumettes. La maîtresse commença  par fouiller l'autre garçon qui avait des petites   culottes  courtes  au-dessus  des genoux; il   n'avait   pas  de poche  et seulement  une  petite  fente  dans le côté  attachée avec un seul bouton. Marcel riait  et  nous  disait:  "Devinez donc ce que la  maîtresse   a   trouvé   en défaisant  le  bouton..."

3. Ma mère la besogneuse

L'alimentation

Dans  le  temps  de  la  crise ou de la  dépression,  le  matin,  après avoir récité  l'Angelus,  ma mère nous servait des crêpes  blanches  avec  de la  mélasse;  après  le  déjeuner, avant que personne ne sorte de la  maison, c'était la prière en famille.

Le  midi: l'Angelus, la soupe aux pois  cuite  avec  un  gros morceau de lard salé;  comme  le  beurre  était  rare, c'était du  saindoux  qu'on mettait sur le pain ou les  tartines; des fois, on y ajoutait un peu de  sucre blanc,  question de  se  changer du  dessert  quotidien:  la mélasse. Le soir:  l'Angelus,  de  la galette ou des crêpes au  sarrasin;  pour le dessert,  c'était  une  assiette  à soupe de gruau clair, cuit avec  le petit lait écrémé.

J'achetais  un  gallon  de  mélasse par  semaine;  souvent  avant la fin de semaine,  il n'y avait plus de mélasse.

Le  poisson  était  au  menu  de chaque  vendredi  et  pendant l'Avent, le Carême en  plus des jours de jeûne.

On  mangeait de temps en temps du boeuf  le  dimanche  midi  et  de  la fricassée le  soir;   c'était  une  surprise  de pouvoir  manger un dessert spécial le dimanche soir.

Quand  il y avait une fête personnelle,  pour remplacer le gâteau, on mangeait de la  bonne  "poutine  chômeur" ou de la "poutine  aux pommes".

Pour  les  fêtes,  ma  mère faisait des  galettes  à  la  crème avec un peu de sucre  dessus.  Une année, elle les avait cachées  dans   le   cabano; comme  j'avais  un bon  sentiment,  j'ai trouvé sa cachette et tous  les jours j'allais   me chercher  une  galette.  Un  jour,  ma mère s'aperçut que  ses galettes  disparaissaient  et convoqua  Simone,  Marcel et  moi-même;  ce  fut une  conférence de galettes. Je fus découvert à  cause de mon incapacité de mentir.

Une   fois   Marcel  a  eu  une  petite  aventure.  Ma mère lui avait dit: "Va au  puits chercher la saucisse sur la tablette,  je  vais  en  faire cuire  pour le dîner."  Comme  Marcel  avait échappé la saucisse au  fond  du puits. Grand-père alla chercher  une  pompe  et  vida  le  puits;  ainsi  la saucisse   fut   récupérée   et   le  puits  bénéficia d'un bon nettoyage.

Tous   les   samedis  matins,  ma  mère  préparait le pot de beans. Elle lavait les  beans  et  en  remplissait le pot aux trois  quarts  sans  oublier d'y  déposer un beau  morceau de lard salé avec la couenne. Elle  nous demandait  à Marcel ou à moi d'aller  porter   le  pot  chez  le  boulanger. Le boulanger  remplissait le pot d'eau et le  déposait dans  son  four à pain pour la  cuisson  jusqu'au lendemain matin; après la  messe,   en  revenant  à la  maison,  nous ramenions  le  pot de belles beans dorées.  On lui faisait honneur au déjeuner quitte à  avoir  de la somnolence pendant la messe de  9 heures et demie  pour  ceux  qui  y  retournaient.

Le pain

Ca   prenait   trente-trois  pains  par  semaine pour nourrir la famille. Le  lundi  matin, ma mère faisait cuire  six patates moyennes, les déposait dans une  grande chaudière de cinq gallons avec l'eau  de  la cuisson; elle y ajoutait deux carrés de deux pouces de ferment et une poignée de  sel.  Après avoir mélangé le contenu, elle  déposait  la  chaudière  sur le réchaud du  poêle  et  laissait le tout fermenter toute  la journée.

Après le souper, commençait mon ouvrage  de  boulanger; je déposais cinquante livres  de   farine   dans  la  huche, prenais  la  chaudière  qui était pleine de fermentation  et   la   vidais  dans  la  huche.  Là  je pétrissais  la  pâte jusqu'à ce qu'elle ne  colle  plus aux mains. Ensuite je déposais  le  couvert  dessus  pour  mettre fin à mon  ouvrage.

A quatre heures, le lendemain matin, ma  mère  était  déjà  debout;  elle graissait  trente-trois moules à pain, se rendait près  de  la  huche  qui était sur la table; elle  enlevait  le  couvert  qui  était soulevé à  quatre pouces au-dessus de la huche. Elle  déposait   la  pâte  sur  la  table  et la  divisait   en   trente-trois  morceaux,  la  pétrissait  de nouveau avant de la déposer  dans  les  moules.  La pâte levait jusqu'à  quatre heures de l'après-midi, moment où la  cuisson commençait;  la  dernière  fournée  sortait  du  fourneau  après huit heures du  soir.  Alors  ma  mère couvrait les pains frais avec un grand drap blanc. Le  lendemain  matin, elle rangeait les  pains   dans  la  laiterie  et la semaine  suivante, la même opération recommençait.

La saucisse et le boudin de maman

Pour faire sa saucisse, maman utilisait  les  boyaux  des  intestins  du porc; pour faire  son  boudin, elle prenait les boyaux  des instestins du boeuf.

Le  boyau, séparé de la panse, du colon  ascendant  et  de  l'estomac, était déposé  dans  une  cuve  à  demi-remplie d'eau; il  fallait glisser le pouce et l'index sur le  boyau  afin  de  le  vider  de son contenu; ensuite, il  fallait  trouver le moyen de  virer  le boyau à l'envers; on y arrivait à l'aide  d'une  grosse  épingle à sûreté sur  laquelle on enroulait peu à peu l'intérieur  du boyau; on procédait ensuite au nettoyage  complet  en se servant du dos d'un couteau;  on  le lavait, on le rinçait et ensuite on  le remettait  à  l'endroit  selon  le même  procédé.

Puis,  on  attachait solidement un bout  avec  de  la  ficelle; on le gonflait d'eau  claire  par  l'autre  bout;  c'est  par ce procédé qu'on voyait s'il était étanche; si  non,   on  coupait  le  bout  troué  et  on recommençait.  Le boyau était alors prêt à  être  installé  au  bout  de l'entonnoir du  moulin à hacher la viande.

Maman  préparait  sa viande à saucisse:  du  maigre  de  lard,  un  peu de veau, des  épices,  sa  petite  touche personnelle qui  demeurait son secret. On  procédait  alors au remplissage; on  s'y  mettait  à  trois:  l'un tournait la manivelle, un autre fourrait la viande dans  le  moulin  et  le troisième  faisait  des  noeuds  dans  la  saucisse  à tous les cinq  pouces au  fur  et  à  mesure qu'elle  se  remplissait. Il  ne restait qu'à la faire cuire et à  la manger.

Pour  le  boudin  mêmes  opérations; il  était   cependant   composé différemment:  sang  de porc, lard haché maigre, épices et  une autre petite touche personnelle.

C'était toute une corvée quand arrivait  le  temps  de la saucisse et du boudin. Ma  mère  prenait  toujours  la  tâche la plus  ardue,  celle  du clinage, du lavage et du  rinçage du boyau. Nous les enfants, on lui  levait notre chapeau.

Le grand ménage

Parlons  pour commencer des paillasses.  C'était  des  sacs  en forme de poches avec  une  ouverture  au  centre et un rabat avec  bouton    et boutonnière    pour   tenir  l'ouverture  fermée.  La  paillasse  était remplie   de  feuilles blanches de  maïs.  Quand  on  faisait  le lit, on brassait les  feuilles  pour  rendre  la  paillasse  plus  souple.

Ces   paillasses  faisaient  cric  crac  croc!!!  Les  parents n'aimaient pas cela  car  cela  pouvait  troubler le sommeil des  enfants, leur faire faire des cauchemars et  perdre   leurs  "rêves  aux  anges".  Sans  radio, sans télévision,  de téléphone, la  vie  était calme et les rêveurs s'amusaient  à  découvrir  ce  qu'il  y  avait  sous les  feuilles de choux.

A    l'automne    quand    on   faisait  l'épluchette  de  blé d'Inde, on vidait les  poches de blé d'Inde au milieu de la grande  pièce  du bas-côté. On mettait des chaises  autour  et  tout  le  monde  plumait du blé  d'inde. Celui  qui  en trouvait un rouge  avait  le  droit d'aller embrasser la fille qu'il  trouvait  de  son  goût car il était  nommé Roi; de même si c'était une fille qui  faisait   la   trouvaille,  c'était  permis  d'aller embrasser un garçon.

Ma   mère   demandait  de  séparer  les  feuilles  blanches des autres; les blanches  étaient  séchées  et  la mère les utilisait  pour  remplir  les paillasses  quand  elle  faisait son grand ménage.

Quand  arrivait  le  temps  de tuer les  volailles,  on leur coupait la tête sur une  bûche  avec  une hache; on transportait les  volailles  mortes à la  maison  pour  les  ébouillanter et les plumer. On gardait les  meilleures plumes; après les avoir séchées,  on les groupait en plumards qui servaient à l'époussettage.  On  conservait  les  plus  belles plumes pour écrire.

Les  pattes  de  lièvres  et  de lapins  avaient  aussi  leur  utilité; après qu'on  eut  recouvert  le  poêle  de  fonte d'une couche  de  cire,  on se servait des pattes  pour l'astiquer et le faire briller.

4. Mon père, l'homme à tout faire

Le rouleau à neige de mon père

Dans les années 1923 à 1930, mon père a  été  nommé  inspecteur  des chemins pour le  premier   rang   et  la  route pour  aller  jusqu'au village à partir du deuxième rang.

Alors,   il   s'est  fabriqué  un  gros  rouleau  car  dans ce temps-là on utilisait  des  rouleaux pour fouler la neige dans les  chemins. Son rouleau avait 5 pieds de haut  et 10 pieds de large et il était formé de 3  grosses roulettes reliées  par un essieu.  Ces  roulettes  étaient  installées sur des  bouchinnes d'un rack au centre duquel était  greffée une  togne. Les roulettes de bois  étaient  retenues par des cerceaux en métal  vissés au bois à tous les 2 pouces.

On  n'avait pas été toujours capable de  trouver un employé pour rouler les chemins;  alors  pendant  de nombreuses années, c'est  moi  qui  me tapais la  job au coeur des  tempêtes.

La glacière

En  1924,  pour  faire sa glacière, mon  père  s'était  acheté  une tonne de mélasse  vide  pour cinq dollars; dans le côté de la  tonne,  il  perça  un trou de 18 pouces de  diamètre;  cela  servait  d'ouverture et de  porte.

Au  commencement  de  décembre, un soir  mon père versa un seau d'eau dans la tonne.  Le lendemain, il tourna un peu la tonne et  vida  encore  un  seau d'eau. Quand il eut  fait  son  petit jeu assez longtemps, il se  retrouva avec une glacière dont la couche  de  glace  avait  bien  de  6  à  8  pouces d'épaisseur.

Ensuite  il  fit  un grand trou dans le  carré  de  foin  y déposa la glacière et la  recouvrit de foin en prenant soin cependant  de  laisser libre l'espace pour mettre la  porte.  Cette  porte était recouverte d'un  lot de couvertures et de catalognes.

Quand  il faisait boucherie, la semaine  avant  Noël,  il débitait la viande dans le  bas-côté,     il    la    faisait    geler, l'enveloppait morceau par morceau et allait  la déposer dans la glacière. Il ouvrait la glacière  seulement une  fois par semaine  pour   prendre  de  la  viande;  il venait  déposer ce paquet de viande sur la tablette  du puits qui servait de frigidaire.

Dans  le  haut  du carré du puits, il y  avait  un  vireveau alimenté à la main avec  une poignée. Après le vireveau, il y avait  une  chaîne  qui soutenait trois chaudières  que   l'on   descendait   dans  l'eau  pour conserver   les  aliments frais mais  pas  congelés.

Mon  père  avait  une  autre  sorte  de  glacière;  c'était  de  la viande enterrée  dans le carré de grain.

Une  année,  on  avait eu un temps très  doux et la viande ne pouvait pas geler. Ma  mère avait installé tous ses chaudrons pour  faire  cuire  la viande avant de la perdre,  et  elle  nous  avait  mis à la prière pour  avoir du temps froid.

La jambonnière

En   1924,   mon   père   a   fait  une  jambonnière;  c'était une petite bâtisse de  trois  pieds de carré et de 8 pieds de haut  avec  un ventilateur sur la couverture. La  bâtisse avait deux portes sur la devanture;  celle du haut mesurait 2 pieds par 3 pieds;  celle  du  bas  mesurait  2 pieds carrés et  était  en  plus  munie  d'une targette pour  contrôler l'air.

Il y avait quatre crochets installés au  plafond   pour  recevoir  la viande  qu'on  voulait jambonner; généralement c'était une  fesse,  une épaule et une partie du côté à  partir duquel on faisait le bacon.

Alors  mon  père  faisait de la saumure  légère  qu'il  déposait  dans une cuve de  bois;  il  enveloppait  sa  viande dans du  coton  à fromage et la faisait tremper dans  la  saumure  toute  la  nuit. Le lendemain  matin,  il accrochait la viande au plafond  de  la  jambonnière.  Il allumait un petit feu pour avoir du charbon de bois.

Et   là  il  mêlait  la  braise  à  des  copeaux  d'érable, à des épis de blé d'Inde  séchés  et à des épluchettes pour donner un  petit  goût  sucré au jambon. On regardait  sortir    une   petite   boucane   par   le ventilateur;   ça  prenait une  semaine  à  jambonner.

Le fourrage vert

Un  été, mon père avait décidé de faire  du  fourrage vert pour ses vaches. Il sema  de  l'avoine  avec  des  pois après  avoir  engraissé   une pièce   de  terre  neuve.  L'avoine  et  les  pois  poussèrent  et  la récolte  fut très belle. Avec son moulin à  faucher,   mon  père  coupa  la récolte, la  laissa  faner  et l'entra dans le carré de  la  grange. Une semaine plus tard,  il  s'aperçut  que  la  vapeur montait de 2 à 3  pieds de haut au dessus du carré. Il alla  chercher  son  gros  cheval brun,  lui fit  fouler  la  récolte  et la vapeur disparut.  Il  répéta le même manège pendant plusieurs  semaines et le fourrage vert fut réussi.

L'année  suivante, il acheta un silo en  lattes  de  bois  semblables  aux lattes de  clôtures  à neige; il y fit ensiler son blé  d'Inde  et  son fourrage vert. C'était son  premier   silo   et  les  vaches  donnèrent beaucoup de lait.

Moulin à battre le grain

En  1930,  mon  père acheta son premier  moulin  à  battre ainsi que le pont roulant  de  chevaux  à  vapeur. Le pont était fait  ainsi:  sur  un angle de trente degrés, le  plancher,  assez  grand  pour  entrer  deux chevaux,  était  fait  avec  du hêtre de 2  pouces par 8 pouces et par 6 pieds de long;  le  plancher  était  déposé sur des chaînes  qui fonctionnaient  sur des roues de métal  fixées  à tous les 8 pouces de chaque côté.  Le  pont  avait des gardes sur les côtés et  sur  le devant. Après que  les  chevaux  étaient  montés  sur le pont, on installait  une  barre  en arrière pour les empêcher de  sortir.  Il y avait une grande poulie de 5 pieds  après  le  pont roulant et une autre  plus petite après le moulin à battre; elles  étaient réunies ensemble avec une courroie  de  cuir.  Les chevaux  étaient  ferrés à  piton carré et par la force de leurs jambes ils faisaient fonctionner le pont.

Grand-père  faisait  manger  le  moulin  avec   le  grain  que  je  lui donnais  en  provenance du carré à grain; mon père avait  soin  du  crible  et des  poches et Marcel  recevait la paille en arrière. De temps en  temps, grand-père nous  payait  la traite  avec du tabac à chiquer à la mélasse. Pour  arrêter  le  moulin, il fallait arrêter les  chevaux avec une  grande barre  de  bois  d'orme  installée  au  pont; on mettait une  pression  de  la barre  sur la courroie de  cuir  en disant: "Woh! Woh!." Les chevaux arrêtaient.

Les cochons et la boucherie

Une  année,  Jean-Baptiste  avait élevé  deux  truies  qui ont eu chacune une portée  de huit cochonnets; ça en faisait 16 à part  ceux  qu'elle avaient mangés; sur les 16,  il  y  avait  10 mâles; on en garda un pour  l'encan  à la porte  de l'église. On les  appelait  petits  cochons  de  lait  car  à quatre semaines, ils étaient déjà sevrés.

Jean-Baptiste castra les 9 autres mâles  et  trois  mois  plus tard, avant de partir  travailler  à  Montréal, il dit à Alcide et  Marcel: "Vous nettoierez les cochons cette  semaine et les mettrez dans l'enclos."

Alors, le lundi matin, Alcide et Marcel  se  rendirent à la porcherie. Alcide avait  les pinces et les anneaux, c'est Marcel qui  avait  la job de tenir les cochons le temps  qu'Alcide  leur  passe  l'anneau au nez; on passait  cet anneau au nez des cochons pour  les  empêcher  de  fouiller le terrain. Un  cochon  de quatre mois était très difficile  à tenir. Marcel ricanait: "Fais attention  pour  ne  pas  te  tromper."  De  temps en temps, il était sous le cochon. Imaginez,  c'était difficile de le reconnaître...

Le cochon de boucherie

Une  année,  on avait tué un cochon qui  pesait  six  cent cinquante livres; c'était  un cochon engraissé aux épis de blé d'Inde;  il   avait  été castré  à  3  semaines  et  enlainé;  on l'avait mis au clos près de la grange.   On   lui  donnait de l'eau de  vaisselle  pure non savonnée, on y ajoutait  un  peu  de  son.  Le  cochon  mangeait  de  l'herbe  dans le pré, comme les vaches. Il  passait l'hiver dans l'étable, au printemps  on  le remettait au clos. Au mois d'août,  le cochon était devenu très long et maigre;  alors   on  le  rentrait  de  nouveau  dans  l'étable et on s'installait dans une stalle  d'un  pouce  plus large que lui et de douze pieds   de   long;  à  chaque  semaine,  on  élargissait   sa   stalle d'un pouce;  on  faisait  cela dans  le but de l'engraisser  pour  les  Fêtes. Il mangeait jusqu'à 100  livres  de farine de cochon par repas ainsi  que trois épis de blé d'inde. Il mangeait,  il dormait et faisait...

Boucherie

Jean-Baptiste  faisait  boucherie  tous  les   ans,   la  semaine  avant Noël.  Il disait:  "Allez  placer  le  vire-veau en  place."  C'était un billot de 8 pouces qui  était  sur  les  poutres à 6 pieds; au bout  de  la poutre, il y avait deux morceaux de  bois  cloués  ayant  8  pouces  entre pour  recevoir le billot; dans le bout du billot,  il  y  avait  des  trous de 2 pouces pour  recevoir des perches; ces perches servaient  à  tourner  le vire-veau.  Au centre il y  avait une chaîne avec crochet pour attacher l'animal.  On tournait le vire-veau chacun  notre  tour  et  l'animal montait dans les airs;  dans  cette  position, on pouvait le  plumer, l'éventrer et le laver. Grand-père  Clément   avait   peur   du   sang; alors,  Jean-Baptiste faisait   la   saignée   et  Anastasie,  ma mère, avec la poêlonne et la chaudière, cueillait le sang pour faire son  boudin des fêtes.

Ensuite,  il  fallut ébouillanter notre  cochon  afin  de lui ôter les soies; on fit  bouillir de l'eau dans un grand chaudron et  on la déposait dans une auge nommée foulon;  il fallait que l'eau soit assez chaude pour qu'on  ne  soit pas capable d'y tremper les  doigts  plus de deux fois. On déposait les  chaînes dans le foulon en laissant retomber  

les  bouts  hors  du  foulon;  on déposa le  cochon   dans   l'eau  en s'empressant  de  croiser  les  chaînes par dessus lui. Pour  ébouillanter notre  fameux  cochon  de 650  livres,  on  était  6  hommes pour retenir. Quand la soie s'arracha facilement avec les  chaînes,  on  plaça  des madriers sur  le  foulon;  on y déposa le cochon, on continua  à  lui  arracher ses soies avant qu'il ne  refroidisse  trop;  puis on nettoya la peau  avec  des couteaux  tout en la lavant dans  l'eau.

Plusieurs métiers

Pendant  plusieurs années, il manqua de l'ouvrage comme charpentier; alors,  Jean-Baptiste  travaillait  avec sa famille sur  la  terre.  Il fallait  se serrer la  ceinture  car  le  boeuf se vendait ,02$ la  livre, les oeufs ,01$ chaque, le lait ,015$  la livre et les bananes ,05$ la tresse.

Jean-Baptiste  fabriqua  une forge avec  un séparateur donnant ainsi la job à Alcide  de  ferrer  les  chevaux.  Il  acheta deux  clippers,  un  pour la maison, l'autre pour  les animaux.

Il  allait aux bois se chercher du buis  et  faisait  des  tisanes  qui servaient de purgation pour la famille et les animaux.

Il  tannait  le  cuir  car  personne ne  voulait  acheter les peaux; il étendait les  peaux  sur  le  plancher  de la grange, les salaient   pour faire  fondre  la  viande  ensuite,  après  avoir  préparé  des  cuves remplies  à moitié de fumier de volaille et d'eau,  il  déposait  les  peaux dans  les  cuves,  les  laissait  tremper  pendant une  semaine;   ensuite, il les pilait,  les essorait  avec  les  tordeurs  qu'il  avait  lui-même patentés et fabriqués. Il fallait  que  l'eau soit toute sortie des peaux pour  faire  un  bon  cuir souple; il fallait que  les   peaux  soient  de nouveau  dans  une  solution  dont  je ne  me  rappelle pas la  recette  et qu'elles  soient  essorées  de  nouveau.

Une  année,  il avait tanné une peau de  cheval,  une  de vache, deux de veau et une  de chevreuil. Le  cuir  fait  de la peau de chevreuil  servait  à faire de la babiche, pour coudre  le  cuir, pour faire des attelages pour les  chevaux,  pour faire des  bottes  et  des  souliers de boeuf.

Il   faisait   bouillir   les  derniers  ramages   d'eau  d'érable  pour faire  son  vinaigre  blanc;  je  me  rappelle qu'il se  servait  d'un thermomètre semblable à celui  dont   se   servait  pour  faire  du  sirop d'érable mais je ne me rappelle pas jusqu'à  quel degré ça devait bouillir.

Il  avait  installé  dans le verger une  boîte de quatre pieds de haut, quatre pieds  de  large  et  quatre pieds de long sur les  piquets  de  cèdre à  trois pieds dans les  airs.  Il y avait des ventilateurs dans le  haut des boîtes du côté du soleil levant; à  deux  pouces  du fond  de chaque boîte, il avait  installé une champleur  en  bois. Parmi les ingrédients de son vinaigre, il y  avait  du  hublon  et du ferment. Quand on  allait  dans  le verger,  il  y  avait  un bourdonnement de fermentation semblable au  bruit d'une rûche d'abeilles. A l'automne,  il coulait son vinaigre; il disait: "Joual  vert, qu'il est beau et clair!"

Quand  l'hiver était arrivé, il faisait  des  harnais  simples et doubles; assis sur  son  cheval  de  cordonnier,  il préparait  aussi   ses   ligneuls et  ses  babiches.  C'était beau de le voir travailler.

Une année, il avait changé trois cordes  de  bois  fendu  en éclats d'un pouce carré  pour  une peau de cheval. Tout ce bois, il  l'avait  monté  au troisième  étage  de la  grange avec l'aide d'Alcide et de Marcel.

Il  réparait les chaudières et terrines  avec  de  l'étain ou avec des rivets et des  washers  de  cuir  quand le trou était trop  grand.

5. Péripéties d'Alcide

Les branches de chat

A  l'âge  de  douze  ans, au printemps,  j'allais  au  bois chercher des branches de  chat;  je  les  coupais  par bouts de trois  pouces  avec  mon petit couteau; j'affilais  le  bout  sur  un  angle de 30 degrés; à un  pouce du bout je faisais une autre coupure  aux deux  tiers  de  profondeur  et au même  degré.  Ensuite,  avec  le  manche  de mon  couteau, je tapais sur l'écorce pour la  décoller  du  bois. Ayant enlevé l'écorce,  je  faisais  un sillon  avec mon couteau à  partir du trou jusqu'au bout. En remettant l'écorce, j'avais fait un sifflet.

On  se  servait aussi de ces branches à  l'automne  pour  attacher  les pieds de blé  d'inde  par  paquets;  je  coupais le blé  d'inde  avec  une faucille  et  grand-père  faisait   l'attache;  les  paquets  étaient  accotés sur  des  chevalets que grand-père  avait fabriqués pour la circonstance. Les branches de chat, c'était de belles  branches  droites  qu'on pouvait plier sans  qu'elles cassent.

Accident

Je  vais  vous raconter le petit voyage  que j'ai eu avec le râteau à foin.

En  1924, comme mon père avait fini ses  foins un de ses voisins lui demanda d'aller  lui  aider  à  finir  les  siens. Alors le  lendemain matin, mon  père  et  moi-même  partîmes  avec  notre  voiture  à foin pour  aller lui aider. Arrivés sur les lieux, le  voisin  dit  à  mon  père:  "Ton garçon va  "râcler" nous autres, nous allons charroyer  le foin." Ayant attelé les chevaux, un de  3  ans  et l'autre de 4 ans, sur le râteau,  j'ai "râclé" la première pièce; à la suite de  cela  pour me rendre sur la deuxième il  fallait  traverser  un  pont de 12 pieds de  large;  le  râteau  en  avait 14 lui. Quel  problème!

J'avais  12 ans et j'étais tout petit,  le  siège  était  trop  haut, donc  je  me  contentais de m'adosser sur le siège. Alors,  arrive  le pont. J'ai levé les  dents   du   râteau  à  un crochet  et  je  m'engageai  sur le pont. Une roue tomba au  bout du pont, la togne frappa le cheval de  gauche  sur  les jambes, celui-ci prit peur  et    les    deux chevaux   partirent   à l'épouvante;  le  crochet  qui  tenait les  dents  céda  et  moi  je suis tombé dans le  râteau à la place du foin.

Le  râteau  s'accrocha  dans la clôture  faite  en  broche  "carreautée" alors, dans  l'élan, plusieurs piquets de clôture furent  cassés.  Au  bout de 3 arpents, la roue du  râteau  fut  soulevée car un piquet n'a pas  voulu céder;  c'est  ce qui ne permit de  sortir  de  là  comme  Jonas  sortit  de la  baleine.   J'avais  seulement  une  petite  bosse à la tête.

Arrivé  à  la  maison pour souper, j'ai  monté  directement  me  coucher. Ma mère  s'informa à mon père de la raison de cela.  Il  lui  dit:  "Il lui est arrivé la même  chose que toi".  En effet, la veille, mes  parents avaient  eu un accident; le blond tomba dans un trou sur un pont défoncé; mon père  et  ma mère l'avaient suivi; le blond  avait eu l'instinct de ne pas remuer et mes  parents s'en étaient sortis sains et saufs. 

Le violon d'Alcide

Un  soir,  j'ai demandé à mon père s'il  voulait  me faire un violon; il me répondit  qu'il  n'était  pas  capable.  Alors je me  suis  mis  dans  la tête  de  me  le faire  moi-même.   Pour  avoir  un  modèle,  j'ai  emprunté le violon de grand tante Marie.

J'ai  pris  une  planche d'érable et je  l'ai  creusée  à la main jusqu'à ce qu'elle  soit assez mince pour qu'on voie la lumière à  travers  le  fond. J'avais entendu dire  que  plus  le  fond était mince, plus beaux  seraient les sons. Je me suis rendu sur le  chemin  de Yamaska pour acheter une vieille  planche de pin pour le dessus; plus le bois  était  vieux, plus  le son était beau; le  fermier  me la donna en me souhaitant bonne  chance.

Je  fis  la  queue  du  violon  avec du  merisier.  Les  clés,  le pont et le petit  poteau  pour  supporter  le  dessus ont été faits  aussi  en merisier. Je me suis fait  des gabarits pour être capable de plier les côtés. Les  côtés étaient des éclisses en  bois de plaine de 2 pouces de large par 1/8  d'épais;  je les ai fait tremper dans l'eau  chaude,  les  ai pliées et fait entrer dans  les gabarits.

Pendant  deux jours, je les ai laissées  sécher;  ensuite  je les ai découpées de la  bonne  longueur et je les ai collées à leur place comme tous les autres morceaux.

Il ne restait qu’à aller m’acheter des cordes pour que mon violon soit terminé.

Quand à l’archet, il a été fait en frêne; pour le crin, je m’organisais en allant à la messe le dimanche pour me faufiler en cachette le long des chevaux blancs attachés dans les stalles; quand je leur arrachai des crins, ça ruait et ça hennissait, mais ça valait la peine quand même…

Après six mois de travail à temps partiel, mon violon était terminé; je suis allé voir tante Marie pour le faire accorder; elle me joua une toune et me félicita. Enfin j’avais réussi mon chef-d’œuvre.

J’ai appris à jouer quelques airs mais j’ai constaté que j’étais meilleur pour faire que pour jouer.

La terre aujourd’hui

En 1923, la terre de mon père était moitié en chaume, moitié en bois. En 1983,soixante ans plus tard, un bon dimanche après-midi, je partis avec ma petite femme Anne-Marie pour aller voir la terre qu’on appelait la terre des Bonin.

La grande maison et le bas-côté étaient passés au feu, la grange, le hangar et la shead à voiture avaient été détruits pas un gros vent; le gros pin en face de la maison, pin de 3 pieds de diamètre sur la souche, avait été coupé et la côte avait été descendue de moitié avec les gros bulls. Tout un désastre après 720 mois; c’était bien sur cette terre aujourd’hui à peine reconnaissable, que j’avais commencé à travailler à l’âge de douze ans.

A présent, ce que l’on voit, c’est une immense forêt remplie d’érables, de pins et d’épinettes. Souvenir! Souvenir!

A présent, tout l’ensemble est transformé en centre forestier. Ils y ont fait trois trottoirs de quatre pieds de largeur et plusieurs ponts pour traverser les ruisseaux et les coulées. Tout est fait en cèdre; il n’y a pas un clou nulle part; tout est réuni avec des pines de bois; ces trottoirs contournent les arbres qui sont en belle ligne droite. C’est beau à voir pour ceux qui aiment la nature.

Voici un croquis de la résidence Jean-Baptiste et Anastasie Fafard le long de la rivière St-François à St-Majorique.