Familles Bonin

 

 

CHAPITRE 8

 

HISTOIRES ET CONTES

D'ALCIDE

 

Pépère et mémère

Une fois, il y avait un pépère qui trouva un miroir,

En prenant sa marche sur le trottoir.

Il dit: "Il y a quelque chose que je ne peux pas croire.

C'est le portrait de mon grand-père et il est beau à voir."

De retour à la maison, il entra dans sa chambre et le cacha dans un tiroir.

Après souper, il faisait de la lumière et le regardait tous les soirs.

La mémère dit: "J'aimerais bien savoir

Ce qu'il va faire dans la chambre, je le saurai, c'est mon devoir."

Elle commença à chercher dans l'armoire.

Sur les tablettes, regarda parmi les mouchoirs.

Elle dit: "Il se cache peut-être pour boire.

Ou il perd peut-être la mémoire."

Tout à coup, trouvant la cachette et s'en faisant une gloire,

Elle dit: "Je comprends, c'est difficile à croire."

Il venait admirer mémère; jalouse elle dit: "Il va me le payer au purgatoire."

 

Le matelot

Petite histoire d'un jeune homme de vingt ans:

Il était fin, gentil, bien élevé et très beau.

Même si pas instruit pourtant intelligent.

Il alla de l'assurance chômage au bureau;

On lui demanda ce qu'il pouvait faire de son temps.

Je peux faire ce que vous voulez, même un bedeau.

On lui présenta une formule d'engagement.

Il fit une croix et remit la feuille aussitôt.

"Sans signature on a rien pour toi mon enfant".

Il alla au port de mer et s'engagea matelot

Travailla très dur et revint plein d'argent.

Se maria et à sa femme remit un cadeau

C'était un petit qui arriva en dedans d'un an.

Il valait plus que l'or et porta le nom de lingot.

 

Un acte de bravoure

Il y avait une fois

Une petite fille

Qui cria: "Au secours! Au secours!"

Elle avait peur, je crois

D'une souris gentille

Qui dans la cuisine venait faire un tour.

Elle était tellement remplie d'émoi

Que son frère, garçon viril,

Lui dit: "N'aie pas peur, mon amour

Je vais rester près de toi

Aujourd'hui, je n'irai pas à la ville."

Le lendemain dans la cour

Le gros boeuf courut cette fois

Après le garçon sur un mille.

Voyant pour son frère un danger en cour

La petite fille, n'ayant pas le choix

Avec des yeux qui brillent

Partit au son de son tambour

En élevant très fort la voix;

Le boeuf, se montrant très vil,

Partit sans leur dire bonjour.

 

Petit Jules

Voici l'histoire réelle d'un enfant perdu et deux retrouvés. En 1925, notre voisin de gauche avait trois enfants; le plus vieux avait le nom de Jules, âgé de six ans, du même âge que mon frère Bernard.

Un jour du mois d'octobre, vers les deux heures et demie de l'après-midi, comme ses petites soeurs étaient malades, sa mère le garda à la maison. Comme il demeurait voisin de l'école, vers trois heures et demie, sa mère leur demanda si quelqu'un avait vu son petit Jules. La réponse fut non, personne ne l'avait vu. Son père était vendeur d'automobiles chez Pinard et Pinard de Drummondville. Alors par les enfants d'école la nouvelle de la disparition du petit Jules s'est répandue très vite. Jules avait vu passer une vieille auto devant la maison ; il y avait trois hommes habillés en guenilles; cela paraissait louche.

Quinze minutes plus tard, ils revenaient; ils se sont arrêtés devant Jules et lui ont demandé s'il voulait embarquer en machine pour faire un petit tour. "Non", fut sa réponse. Deux débarquèrent de l'auto pour changer de chauffeur; Jules eut peur et comme la terre de son père était boisée jusque derrière les bâtiments, il courut se cacher dans le bois. Il y a un chantier où étaient trois hommes qui bûchaient du bois. Il pensa que c'étaient les trois hommes de la vieille auto qui le cherchaient. Les trois hommes qui bûchaient reconnurent Jules; croyant qu'il était avec son père, ils n'y portèrent pas plus attention que cela.

Mon père me dit: "Vite! Alcide, va atteler la brune, ils l'ont peut-être kidnappé et enfermé dans un des chalets des chasseurs à trois milles d'ici." Chemin faisant, nous avons rencontré un des trois bûcherons qui retournait chez lui; lui ayant annoncé la nouvelle, il nous dit qu'il avait vu Jules dans le bois.

Deux chasseurs ayant entendu parler de la disparition me demandèrent si je voulais les accompagner; comme ils avaient une boussole et que je connaissais le bois, je suis parti avec eux.

Le père du petit Jules venait d'arriver; il traversa la rivière et téléphona au secours. En dedans d'une heure, il y avait du monde d'arrivé de partout. Beaucoup de monde étant dans le bois criait: "Petit Jules!" Petit Jules avait peur quand il voyait du monde et il se cachait derrière les arbres.

À minuit, le père de Jules, étant énervé, tomba dans le fossé avec son "overland". Il se mit à crier pour avoir de l'aide; le monde dans le bois comprenaient qu'il l'avait trouvé dans le bois; il était minuit et tous sortirent du bois.

À une heure du matin, après que tout fut silencieux dans le bois, petit Jules décida de retourner chez lui; il prit le chemin mais, arrivé chez nous, voyant trois hommes avec un fanal devant la maison chez lui (c'était trois hommes qui attendaient une occasion pour retourner chez eux car le monde avait décidé d'attendre au lendemain matin pour reprendre les recherches), petit Jules eut peur encore, rebroussa chemin et alla se cacher dans le grenier de notre voisin de droite.

À quatre heures du matin, le père de Jules arriva à la maison en disant: "Qu'est-ce que vous faites? Il pleut très fort et mon petit Jules va mourir." Il faisait très noir et mon père lui dit: "On va y aller." On devait tous se retrouver dans la chède de la grange où était caché petit Jules sans savoir qu'il était caché là. En effet, mon père et moi-même étions montés la veille au soir et avions inspecté tout le grenier; il n'y avait qu'une porte accotée au mur; mon père était allé voir derrière la porte et il n'y avait rien.

Alors mon père fit un thé vert très fort semblable à du caustique; nous sommes allés rejoindre le monde dans la chède; à cinq heures du matin, il y en avait une cinquantaine d'arrivés. Un Monsieur Gauthier demanda si quelqu'un était allé voir dans le grenier. "Oui! de répondre mon père, nous sommes allés hier au soir mon fils et moi faire l'inspection et il n'y avait personne." Monsieur Gauthier répliqua: "Je retourne voir." Il monta dans l'échelle avec son fanal et voyant seulement la porte accotée au mur il redescendit. Petit Jules l'avait vu par la fente de la vieille porte mais il avait trop peur; il entendait parler du monde en bas et croyait que quelqu'un le cherchait.

Quand la clarté commença à paraître, le maire donna ordre de se placer en ligne verticale, chacun à tous les huit pieds; le curé, ayant ôté sa soutane, put se ranger avec les autres; et nous voilà en marche! Les animaux de toutes sortes, oiseaux, écureuils, lièvres, etc. sortaient du bois; nous avons parcouru, la première journée, six milles de long par un mille et demi de large et nous n'avons pas trouvé petit Jules.

La nuit venue, petit Jules sortit de sa cachette, se rendit chez notre deuxième voisin de droite, fit le tour de la grange et trouva un trou en dessous de la poutre du plancher; il y entra et vint se cacher. A quatre pattes, il traversa tout le plancher; arrivé en avant, il se fit un trou dans la balle, ôta ses petites chaussures; il y avait un petit trou dans le solage entre les roches et il pouvait voir dans la cour. Le petit chien du voisin, l'ayant senti, alla le retrouver et c'était son compagnon; il alla passer la nuit avec le petit Jules.

La journée suivante, il y avait encore plus de chercheurs; il y en avait partout; les puits étaient sondés; il y avait des chiens chercheurs qui fouillaient dans la rivière et tout le monde cherchait partout.

De l'endroit où il était caché, Jules reconnut son père dans la cour, mais il y avait bien du monde avec lui et Jules eut peur, il pensait aux trois hommes et ne put crier.

Pendant ce temps, il y avait une retraite à Drummondville et le père de Jules alla voir le prédicateur. Après l'avoir encouragé, le prédicateur lui dit: "Vous allez retrouver votre petit garçon vivant." Ayant reçu la foi par l'inspiration du bon Saint-Esprit, tous continuèrent à chercher.

Après huit jours, les pieds du petit Jules étaient gelés; il décida de sortir et fit le tour de la grange par en arrière et arriva à la porte qui servait quand on nettoyait l'étable. Il entra dans l'étable, se rendit à la cuve d'eau, ôta ses petits bas et sauta dans la cuve d'eau. Son père lui avait dit un jour que se laver les mains à l'eau froide, cela les dégelait. Il sortit de la cuve; ayant trouvé deux poches en jute, il se coucha dans la crèche des vaches; il se glissa dans l'une des poches et se servit de l'autre comme oreiller.

À deux heures et demie, le propriétaire alla faire un tour à l'étable et voilà ce qui arriva: ayant vu les petits bas près de la cuve, la peur le prit car il était superstitieux; il alla à la maison chercher ses deux grands garçons. Ayant entendu parler, Petit Jules se mit à crier car il voyait encore trois hommes. Après l'avoir calmé, ils l'emportèrent à leur maison; le plus vieux des garçons ne prit pas le temps d'atteler le cheval; il passa chez nous en courant et en disant: "On a trouvé petit Jules." Il allait avertir la famille de petit Jules. Une voiture se rendit vitement au village avertir le curé et les cloches sonnèrent pendant trois heures.

Mon père me dit: "Viens Alcide! On va aller le voir." A notre arrivée, il était assis sur la table les deux pieds pendants et buvait une tisane que la maîtresse de la maison lui avait préparée; il avait les deux pieds noirs gelés à la hauteur de ses chaussures. Monsieur le curé arriva et le bénit.

Petit Jules prit le temps de raconter toute l'histoire. Le propriétaire avait ouvert un trou dans le plancher de sa grange et l'on voyait une paire de petites chaussures dans un petit nid de balle qui avait servi à petit Jules et au petit chien.

Le même jour, la mère de Jules donna naissance à une belle petite fille; c'est pour cela qu'on dit: "Un de perdu, deux de retrouvés."

Petit Jules fut conduit à l'hôpital; on lui coupa les deux pieds également à la même hauteur .

Son père lui fit faire des chaussures sur mesure par un cordonnier et ils installèrent des springs dans ses chaussures; le bout de ses chaussures relevait un peu du bout; il marchait le corps droit; une personne qui ne connaissait pas son histoire ne pouvait pas penser qu'il était infirme. Plus tard son père lui fit suivre un cours en administration et il travailla dans les bureaux de la manufacture Celanese jusqu'à sa mort.

Veuillez me pardonner si j'ai oublié quelques passages car cette histoire s'est passée voilà déjà 57 ans.

 

Le vieux couple

C'était un couple de vieux.

Ils étaient rendus au "boute".

Pour économiser un peu,

La vieille dit: "Tu vas manger des croûtes"

Il répondit: "J'ai faim pour deux."

Elle lui rétorqua: "Écoute

Tu es trop en jeu,

Et pour le prix que cela coûte

On peut faire mieux

Comme dans le carême sans doute."

"Pour toi, c'est un petit jeu.

Moi, je veux être en forme pour la joute."

Comme il était niaiseux

Il acceptait "toute"

Après une semaine, il devint boiteux.

À la deuxième, il est mort en route.

Elle disait: "Il était un peu nerveux

Et ne mangeait presque plus, sans doute."

Pleurant elle dit: "On aurait été heureux

Pour lui, la vie a été trop courte."

 

Le pondeur d'oeufs

Il y avait deux hommes qui décidèrent d'aller passer l'hiver au chantier.

L'un s'appelait Rusé et l'autre s'appelait Gêné.

Rusé était joueur de tours et vraiment rusé, Gêné était timide et insensé.

Rusé, aussitôt arrivé, trouva une souche trouée. Gêné assis, se mit à rêver.

Rusé dit à Gêné: "Regarde ce que j'ai trouvé." Gêné dit: "OK! Je vais y aller."

Rusé dit: "Vois-tu la souche? Elle est trouée, c'est pour toué."

Gêné dit: "Demain, je vais l'user." Rusé prit un oeuf et dans la souche l'a déposé.

Au petit jour, Gêné s'est installé. Rusé se plaça loin pour le watcher.

Gêné, ayant fini sa job, dans le trou a regardé. Rusé pensa que cela avait marché.

Gêné dit: "A la maison je vais aller." Tartine, sa femme dit: "Que s'est-il passé?"

Gêné dit: "Je n'ai plus besoin de travailler." Tartine s'aperçut qu'il était gêné.

Il dit: "Je ponds des oeufs", et alla se coucher. Elle fit une purgation; dose doublée.

À minuit, il se leva et était pressé. Tartine demanda: "Où veux-tu aller?"

Gêné lui dit: "Dans la grange, sur le carré." Tartine dit: "Non! Dans mon tablier."

Gêné installé, dit: "Ca va pas tarder." "Lentement, dit-elle, ils vont être brouillés."

"Ouf! Je vais me coucher", s'exclama Gêné. Tartine dit: "Oui! Tu l'as bien mérité."

 

Une histoire du dix-huitième siècle

Il était une fois

Un couple qui avait une fille unique

Belle, intelligente, séduisante, qui voulait se marier.

Ayant fait son choix

C'était pour elle un grand risque

D'en parler à son privilégié.

Elle s'est dit: "C'est mon droit et ce n'est pas diabolique

De lui demander s'il veut m'accepter d'être sa moitié."

"Oui, de répondre celui-ci, je suis à toi;

Je ne suis pas diabétique."

Et ils se sont épousés.

Son père qui avait la foi

Sachant que sa fille était identique

En amour avec son bien-aimé

N'avait pas besoin de lui dire quoi que ce soit.

Il savait aussi qu'elle était artistique

Qu'elle était capable de se débrouiller.

La mère était inquiète, mais pourquoi?

Elle savait qu'il était fort en gymnastique.

Après souper, les mariés étaient d'accord pour se coucher.

À l'échelle pour monter, il lui dit: "Moi après toi."

"OK", a-t-elle répondu à Majorique.

Rendus au grenier, ils se sont embrassés.

La maman, remplie de joie,

Le papa jouant de la musique,

Aidant son épouse à laver le plancher,

Après avoir fait leur chemin de croix

Et chanté des cantiques

Se sont couchés et se sont mis à rêver.

Le marié faisant une crise de foie

Et c'était bien critique

La mariée lui dit: "Fais attention de ne pas tomber."

Pressé d'avoir un digestif, je crois,

Il est tombé dans la cuvette d'eau, tout en perdant sa chique.

"Je suis dedans", qu'il a crié.

Les parents ont dit: "Il a fait cela comme un roi,

Un vrai folklorique! Arrêtons d'y penser

C'est mieux pour toi ainsi que pour moi."

 

Les quêteux

Dans les années 1923 à 1930, on avait souvent la visite de quêteux. Un dimanche midi, ce fut la visite d'un quêteux spécial car il ne parlait pas le français mais plutôt l'anglais. Comme il n'y avait personne pour le comprendre et qu'il avait une poche sur le dos, c'est par des signes qu'il a réussi à se faire comprendre; il montrait ce qu'il y avait sur la table et se léchait les babines. Ma mère comprit qu'il avait faim; elle lui servit une assiette d'haricots jaunes; il mangea et dit: "God bless you." Il disparut dans le bois du voisin. Le lundi midi, il était de retour a l'heure du dîner; ma mère lui servit un autre repas. Toute la semaine la même histoire se reproduisit. Alors mon père lui montra le chemin et lui dit dans un bon anglais: "Go." Il partit le coeur gros mais ne revint pas. On a pensé qu'il comprenait le français.

Au sujet des quêteux, ma mère disait souvent: "S'il y en a pour un, il y en a pour deux." Mon père enchaînait à chaque coup: "Mais pas pour les adopter."

Une autre fois, c'était un quêteux qui avait un papier à la main. Ma mère lut tout haut: "La charité pour l'amour du Bon Dieu, s'il vous plaît." Grand-père d'une voix forte, dit au quêteux: "Depuis quand tu ne parles pas?" "Deux ans", de répondre le quêteux. Grand-père répliqua: "T'es mieux de reprendre ton chemin sinon tu vas goûter à mon chien." Le quêteux disparut.

Le frère de ma mère avait une boulangerie dans le village de St-Germain. Quand il sortait son pain du four, la senteur attirait les quêteux et souvent les mêmes. Oncle Albéric en apostropha un et dit: "C'est assez maintenant, va ton chemin et ne reviens plus." Le quêteux ne voulait rien savoir et reçut un pain par la tête. L'incident se sut et il y eut agglomération de quêteux devant la boulangerie.

 

L'histoire des quatre bossus

Il y avait une fois une belle grande dame aux yeux clairs qui tomba en amour avec un p'tit bossu. Ils décidèrent un soir de se marier. Le p'tit bossu était un homme mauvais et très jaloux. Il était commis voyageur; souvent il était obligé de partir pour des voyages de plusieurs jours et cela le faisait souffrir beaucoup; il pensait que sa femme avait des chums en son absence.

Une fois, il dit à sa femme: "Il faut que je parte en voyage d'affaires, sois gentille, ne laisse pas entrer personne, tu sais que je t'aime beaucoup." Elle lui dit: "Sois tranquille." Il monta sur une chaise et l'embrassa avant de partir.

Une heure plus tard, sa femme eut la visite d'un autre petit bossu; tout à coup, elle vit revenir son mari. Vitement, elle prit le petit bossu par le collet, le traîna en haut de l'escalier, ouvrit une grande valise, le mit dedans, ferma le couvercle et descendit en courant ouvrir la porte à son mari. Celui-ci entra et dit: "J'ai oublié ma pipe. Mais je sens la viande fraîche ici dedans, je crois que tu as de la visite." Après avoir regardé partout sans rien trouver, il dit à sa femme: "Tu es bien smatt, je pars pour deux jours."

Cinq minutes plus tard, un autre petit bossu frappa à la porte et dit: "J'ai bien faim, ma bosse est vide." Elle lui donna à manger et subitement vit revenir son mari. Elle fit vite, monta le deuxième bossu en-haut, le mit dans la valise avec l'autre et comme elle descendait l'escalier, son mari entra en disant: "J'ai oublié ma blague à tabac." Il se faisait aller les narines et dit: "Je te dis que ça sent la viande ici." Sa femme se dépêcha à dire: "Bien non, mon mari." Il sentit néanmoins dans tous les appartements et ne trouvant rien d'anormal, il décida de repartir.

Une heure plus tard, un autre bossu se présenta; elle ouvrit la porte; il entra et avait les larmes aux yeux; elle voulut le secourir mais elle vit que son mari revenait encore. Elle n'avait pas le choix; elle déposa donc aussi le troisième bossu dans la valise avec les deux autres; comme la valise était trop pleine, elle embarqua sur le couvercle pour réussir à la fermer; elle barra la valise, mit la clé dans sa poche de tablier et eut le temps de se rendre àla porte au moment où son mari se présenta sur le perron. Il entra et dit: "Il y a des changements, je dois partir pour trois semaines, mais je ne suis pas inquiet tellement tu es gentille."

Après quinze jours, elle pensa à ses petits bossus. Elle en déposa un sur le perron, appela le boulanger en lui disant: "Si vous voulez aller jeter à la rivière le petit bossu qui est sur mon perron, je vous payerai cinq piastres." "Bien certain que je vais y aller", répondit le boulanger. Il mit le p'tit bossu dans sa cabane à pain et alla le jeter en bas du pont. Vitement, la femme alla chercher un autre bossu dans la valise et le déposa aussi sur le perron. Quand le boulanger revint pour se faire payer, elle lui dit: "Il est revenu le bossu, si tu veux être payé, tu es mieux de finir ton ouvrage." Le boulanger repartit avec le bossu et le fronda très loin en bas du pont. En revenant chez la femme, il faillit s'estomaquer en voyant de nouveau le bossu sur le perron; il se frotta les yeux pour être sûr qu'il ne rêvait pas. Il dit alors: "Il n'est pas facile de gagner mon argent ce matin, madame."

Sans se décourager, il embarqua de nouveau le bossu et alla le jeter encore plus loin. Sur le chemin du retour, il rencontra un quatrième bossu sur la route; il ne savait pas que c'était le mari de la belle grande dame. Il se dit: "Bossu, tu vas voir qui est le plus têtu." Il arrêta son cheval, trouva un bâton, assomma le bossu, le fit pirouetter dans sa boîte à pain et se dirigea vers la rivière. Arrivé au pont, il se cracha dans les mains. Après avoir swingné le p'tit bossu au bout de ses bras, il le vit tomber au loin dans la rivière.

Il retourna voir la belle dame, il lui raconta l'entêtement du bossu et la façon dont il avait finalement terminé son ouvrage. Elle lui donna cinq piastres, le maria et ils eurent de nombreux enfants.

 

Le vieux garçon

Un vieux garçon se promenait dans son rang en campagne; il vit une grosse boîte qui courait et il n'y comprenait rien; derrière la grosse boîte, une petite boîte en faisait autant.

Il partit voir son père pour s'enquérir de ces phénomènes. "Père, je pense que la fin du monde est proche, j'ai vu des affaires bizarres dans le rang. Je n'ai jamais vu cela même dans mes rêves: un cheval sur pattes suivi d'un petit poulain, le cheval ayant deux fanaux en avant et le poulain ayant un fanal lui aussi éclairant l'avant dans la nuit."

Chers enfants, le vieux garçon découvrait l'auto et le bicycle. Cette histoire-là m'a été contée quand j'étais un tout petit enfant et j'ai cru que c'était vrai comme j'ai cru moi aussi au Père Noël, au Bonhommme sept heures et au Croque mitaines.

 

L'histoire de la citrouille

Il y avait un couple de vieux qui vivait sur une terre près d'un bois, isolé de tout le monde. Un jour, les deux se sont rendus au marché en ville. La dame, voyant une grosse citrouille sur une tablette, dit à son mari: "Qu'est-ce que c'est cela?" Il répondit: "Je ne sais trop; j'en ai vu quand j'étais petit gars; je crois que c'est un oeuf de joual. Elle lui dit: "Tu vas l'acheter et je vais le couver." L'achat se fit. Sur le chemin du retour, la dame disait: "Fais bien attention de ne pas craquer mon oeuf."

Rendus à la maison, ils installèrent l'oeuf dans une mangeoire; la dame souleva sa robe et prit place sur l'oeuf pour commencer le couvage. Après trois semaines de ce manège, le mari était fatigué de s'occuper de toutes les tâches ménagères; il dit à sa femme: "J'en ai assez, viens-t'en à la maison." Elle rétorqua: "Non, je ne veux pas perdre mon oeuf." Il agrippa sa femme par les cheveux et la fit swingner dans l'allée; il s'empara de l'oeuf et le fronda par la porte de côté sur le tas de fumier. Comme l'oeuf était avancé, il s'est tout éclaboussé au moment même où un lièvre s'adonnait à passer. La dame, voyant tout de là, s'exclama: "Je suis désolée, il ne me restait que la queue à allonger."

 

Voici une petite histoire que grand-père Bonin nous contait quand nous étions trop tannants.

Et encore des quêteux...

Il y avait une fois un quêteux qui était arrêté chez moi pour me solliciter pour l'amour du bon Dieu. Je lui avais donné une grosse obole de cinq gros sous noirs. La semaine suivante, il revint me solliciter de nouveau; cette fois-là, je ne lui ai donné qu'un sou. Il en voulait cinq; moi, je lui disais que c'était trop. Alors il me répondit: "Puisque c'est comme ça, cherchez-vous un autre quêteux.

Une autre fois, c'était un quêteux français; grand-père, qui était habitué de se faire solliciter mit la main dans sa poche et lui donna cinq gros sous noirs mais voulait que le quêteux travaille un peu pour les gagner. Il dit au quêteux: "J'ai un cochon de trois mois que je veux pogner, aide-moi." Le quêteux sauta à cheval sur le cochon et le cochon lui fit prendre une ride; le quêteux tenait le cochon par les oreilles; le cochon finit par tomber épuisé. Le quêteux dit: "Mon Dieu que c'est dur de tenir un cochon frais par les éventails; tout le monde riait et mon grand-père turlutait: "Oh, la ri pan pette, du fun on en avait, surtout avec le français."

 

Nos enfants: faits divers

Une de nos filles voulait sortir avec les garçons. Une autre, plus jeune, nous a fait rire en disant: "Si vous voulez, je vais faire le chaperon." Ayant sa passe, elle devait tout nous dire.

Un de nos garçons se cacha un soir derrière le baril d'huile à chauffage sur le perron. Je crois qu'il avait été trop tannant; il avait sans doute fait trop de ravage et ne voulait pas se faire disputer par sa maman. A force de nous entendre le supplier de se montrer, il prit son courage à deux mains et sortit de sa cachette en riant pour sauver la face comme son père, le brave.

Un autre de nos garçons eut le bonheur de correspondre avec le Saint-Père le Pape; cela lui fit chaud au coeur d'avoir réussi sa démarche.

Deux de nos filles demandèrent à leur mère ceci: "Voulez-vous demander pour nous au père la permission d'aller danser à la télévision." Elles ont eu la permission sans trop de misère et nous, assis dans notre salon, avons eu la joie de les voir se trémousser à la télévision.

À Noël et à la Fête Dieu, notre famille fournissait régulièrement des anges; on passait pour des gens pieux, mais comme tout le monde on récitait l'acte de contrition tous les soirs.

Quand les enfants étaient montés se coucher, la partie de plaisir commençait souvent à cause de malappris qui lâchaient des "pets". Je frappais quelques coups au pied de l'escalier et je demandais: "Y va-tu falloir que je monte?" Je n'avais d'autres réponses; le silence durait le restant de la nuit.

J'avais donné un trente sous à un de mes garçons pour qu'il aille chercher une barre de chocolat pour la famille; il fut tellement généreux dans sa distribution qu'il n'a pu se sucrer le bec; il fut récompensé pour son grand coeur par un autre trente sous pour s'acheter une barre de chocolat spéciale avec des noix dedans.

Une fois, la chicane était prise entre mes filles. Je les interrompis en leur demandant laquelle était la plus sage; voyant le trente sous brillant dans ma main, elles étaient soudain devenues très gentilles. "C'est Carmen", dirent les autres. Alors je la fis venir et je lui donnai à elle le trente sous.

Un de nos garçons venait de recevoir sa première paye, et voyant la famille de treize autour de la table, décida d'acheter deux gallons de crème glacée pour le bonheur de tous.

Moi, j'étais plus sévère, des fois détestable peut-être; alors Anne-Marie pouvait être modératrice et panser les petits bobos; on se complétait dans l'éducation des enfants; la recette était bonne s'il faut se fier à l'aplomb que nos enfants ont aujourd'hui.

Je n'ai jamais été inquiet que mes filles soient maltraitées à l'école ou dans la rue; je savais que mes garçons avaient l'oeil sur elles et le coeur à la bonne place.

Nous avions deux filles qui faisaient du bicycle à gaz à la cachette; elles embarquaient et débarquaient au coin de la rue pensant que je ne serais pas aux aguets. Elles devaient pourtant savoir que j'avais une bonne vue.

Nos garçons allaient "cleaner" la patinoire publique devant la maison. Par contre, quand c'était le temps de patiner, ils s'en donnaient à coeur joie; cependant à 7 heures moins 20 minutes j'allumais la lumière de la maison; c'était le signal de venir réciter le chapelet en famille à la radio avec le Cardinal Léger. Ca coupait le temps du patinage gratuit car après huit heures, il fallait payer pour patiner. Cette affaire de chapelet, ce n'était pas du bonbon; j'espérais que mes enfants n'en veuillent pas trop au Bon Dieu.

Un jour, un de nos garçons me demanda la permission de s'acheter un bicycle à gaz de seconde main. Je lui dis: "Oui, mais à la condition que tu sois assuré." Il acheta le bicycle, le nettoya, le peintura et se rendit pour le faire assurer. Quelle déception, ça coûtait les yeux de la tête. Il avala cela et changea son bicycle à gaz pour un dix vitesses.

Après avoir eu le téléphone pendant plusieurs années, deux sur la même ligne, les enfants me dirent: "Si vous voulez, on va prendre le téléphone privé et on va payer la différence, OK?" Après quelques mois, ils ont oublié la différence.

Au début de la télévision, les enfants allaient chez la parenté et les voisins pour voir la télévision; cela n'a pas tardé car dès que j'ai eu le moyen, j'ai acheté une télévision.

Pour aller à sa graduation, un de nos garçons s'était loué une automobile et nous avait invités. On s'est rendus avec lui à l'université et les filles le voyant passer semblaient dire: "Ma foi, que ce garçon a de beaux parents."

Un autre de nos garçons travaillait à Arvida pour la Banque de Montréal. Anne-Marie, sa brunette et moi-même, nous sommes décidés à lui rendre une visite surprise. La surprise fut pour nous car il n'était pas à la maison mais à un bal avec des gens de la banque; on s'y est rendus et il nous présenta aux gens comme des parents extraordinaires.

Un jour, j'avais prêté à un de mes garçons mon marteau de cordonnier, des clous à grosse tête et une bûche de bois; il n'était pas âgé de plus d'un an et avait les cheveux frisés mais il n'était pas fou du tout. Un des petits voisins plus vieux que lui voulut lui enlever sa job; mon petit frisé lui dit non et lui asséna un coup de marteau sur la tête; le petit voisin partit avec une prune sur la tête et ne revint plus.

Nous avions une petite fille qui aimait bien la lecture; elle s'enfermait dans sa chambre. A trois heures du matin, ayant à me lever, j'ai aperçu une rayure de lumière sous sa porte de chambre. Je lui dis: "Couche-toi." "Oui! Oui! Papa, encore une minute et je vais m'étendre."

À l'occasion de Noël, la St-Jean-Baptiste de Winooski fit une fête pour les jeunes Francos de la ville. Il y eut tirage au sort pour le choix du roi et de la reine; un de nos garçons fut nommé roi; ce fut pour nous toute une joie d'assister au bal; nous avons pris des photos de lui à côté de sa reine au moment où on les a couronnés.

Un de nos garçons, ayant eu la coqueluche pendant tout l'hiver décida de faire la grève de la faim; après quelques jours d'inquiétude, nous avons consulté le médecin qui nous dit: "Ne mettez pas de pression et laissez à sa portée fruits et légumes; quand il est à table, volez-lui la moitié de sa tranche de pain et mangez-la devant lui tout en faisant le gourmand." Alors le remède fonctionna à merveille et il se mit à manger pour de bon.

À un an, une de nos filles marchait les pieds par en dedans. Nous avions eu de l'hôpital des chaussures spéciales pour elle. Pendant un an, tous les soirs, on la chaussait avec ces fameuses chaussures qui étaient reliées ensemble par une tige de fer et qui lui tenaient les pieds en direction de l'extérieur. Ce fut long, mais on a eu de beaux succès; elle a pu pratiquer tous les sports qu'elle a voulu.

Un dimanche, dans les années quarante, Anne-Marie voulut prendre de l'air pur, me demanda de surveiller les enfants. Ils étaient en train de jouer près de la table dans la cuisine; moi, j'étais en train de lire mon journal; tout allait bien. Soudain je m'aperçus qu'il m'en manquait un; je me suis levé vitement pour aller voir s'il n'était pas dans la chambre de bain; il y était, c'était la bonne nouvelle. La mauvaise nouvelle: il aspergeait les murs et le plancher avec le bleu à laver. Sur les entrefaites, Anne-Marie revint de sa courte marche et constata tout le dégât; inutile de vous dire qu'elle me trouva immédiatement une job.

En terminant ces faits divers concernant nos enfants, je voudrais à tous dire qu'avec nos enfants, on a toujours travaillé ensemble sans nous nuire pour le meilleur et pour le pire. C'est vrai que tous on a dû un peu souffrir car pour que ça marche il fallait de la sévérité.

Anne-Marie et moi, nous voyons bien les trésors que Dieu nous a donnés dans nos enfants; nous nous sentons aimés pour le présent et pour l'éternité autant que nous les avons aimés et que nous les aimons encore aujourd'hui. Dieu soit loué.

 

 

 

 

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